L’originalité de Vincent Peirani apparaît dès les premiers titres : accompagné de son quintette "living being II" – Emile Parisien, Julien Herné, Tony Paeleman et Yoann Serra – accordéoniste, arrangeur musical et compositeur français, cette originalité vient des multiples résonances de sa musique, dont on perçoit les racines dans la musique classique, la chanson française, le tango, le métal rock, tout simplement le rock. C’est d’ailleurs par le rock que le musicien est venu au jazz. Il y a comme source d’influence importante le Grace de Jeff Buckley, que l’auteur place très haut dans son panthéon intime, jusqu’à reprendre (hélas pas à ce concert malgré nos attentes, déçues) le titre "Dream Brother" (un des meilleurs de Grace, évidemment), très forte reprise dont je parle pour faire entrevoir le savoir-faire du musicien : d’abord un air peu familier, du jazz lent voire dynamique a lieu, puis lentement viennent des notes nous amenant lentement à la cassure, nous conduisant subtilement au refrain, pour un surgissement euphorique.
Nombreuses furent ses reprises, personnelles, bien conduites, basées aussi sur le croisement des influences, le sens de la profondeur, la touche colorée, la ligne mélodique - claire ; et des associations étonnantes, comme cette adaptation de Purcell ("Cold Song", qui d’ordinaire est glaçante, est ici d’une belle chaleur oxymorique), ces deux titres de Led Zeppelin (les fans n’oublieront pas…) : "Stairway to heaven", (évidemment), et ce "Kashmir", dynamique, très rythmé mais libre, nous réjouissant au suprême, par sa démesure sereine, si je puis dire.
N’oublions pas les propres créations de Peirani, des titres de l’album studio Living Being II, bien sûr, mais aussi une écriture révélant un parcours musical personnel, une cohérence biographique (l’auteur nous donnant le contexte personnel de chaque morceau) : un répertoire varié, donc, éclectique, pouvant assurément contenter ceux qui n’ont pas une grande culture jazz - je n’écris pas cela comme une critique, c’est Peirani lui-même qui explique l’importance qu’il accorde à une musique simple, directement accessible au public : ce n’est pas chose aisée. Ne pas tomber dans le trop de simplicité (easy-listening) ni dans la trop grande complexité ou virtuosité harmoniques, être juste au milieu, la moyenne, l’équilibre, voilà la grandeur.
André Manoukian en deuxième partie nous a présenté son savoir-faire musical : élégance jazz, simplicité, légèreté, surtout une vivacité et une exubérance. Je ne reviens pas sur sa notoriété, tant musicale que culturelle, médiatique, radiophonique, même cinématographique… si ce n’est pour parler rapidement de la grande aisance, le franc-parler, l’humour avec lesquels Manoukian a introduit ses morceaux, parfois les anecdotes, longues mais toujours irrésistibles, nous renseignant sur la généalogie d’un morceau, ou l’histoire du jazz – son charisme sur scène finit par emporter presque tous les suffrages.
"Presque" car c’est tout de même la musique qui nous intéresse ici ; ce qu’il fait passer par son jeu, qui est fait de souffle, de multiplicités, d’agencements harmoniques, d’un classicisme travaillé, mesuré. On sent avant tout la passion de Manoukian pour le jazz, quelque chose de viscéral (en soi), d’immuable, de durable assurément. C’est cette passion qui porte le groupe, dans un bel élan chaleureux, certes inégal (mais n’est-ce pas le propos du jazz, d’être inégal, dans un déséquilibre qui définit une force d’équilibre), mais d’une sincérité et une certaine discrétion dans le propos. Et aussi une générosité dans cette façon de tout donner au public, dans un geste de partage joyeux.
Excellente soirée au théâtre municipal de Raymond Devos, pour ce Tourcoing Jazz Festival, dont la programmation déçoit rarement. |