Orchestre national d'Auvergne & Roberto Forés Veses
Berg, Webern, Schreker
(Aparté) juin 2020
"J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C'est un univers morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème ;
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C'est un pays plus nu que la terre polaire
- Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !"
De profundis clamavi, Charles Baudelaire, Les fleurs du mal.
C’est dans la Vienne du début du XXème siècle, celui d’Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton Webern, Franz Shreker, Gustav Klimt, Egon Schiele, Oskar Kokoschka, Stefan Zweig, la Vienne capitale austro-hongroise, capitale en pleine ébullition où les arts en tant qu'expression prennent de nouvelles formes et figures que nous propose de plonger ce disque.
Au programme : la Lyrische Suite (1926) – Version orchestre à cordes de Théo Verbey (pas tant enregistrée que cela), Langsamer Satz (1905) d’Anton Webern et Intermezzo und Scherzo für Streichorchester (1900) de Franz Shreker.
Si les pièces de jeunesse de Webern entre tradition et expressions Brahmsiennes et celles de Shreker, qu’il serait grand temps de réhabiliter, prouvant déjà sa préoccupation permanente pour le genre de la suite et aux accointances "classiques", toutes deux pleines d’un néoromantisme, ne sont pas dénuées d’intérêts, nous nous plongerons plus volontiers dans l’atmosphère générale de ce disque et dans la Lyrische Suite de Berg.
La Suite lyrique fut créée à Vienne le 8 janvier 1927 par le Quatuor Kolisch et fut rapidement un succès. À la demande de son éditeur, Berg en fit un arrangement et une nouvelle orchestration pour orchestre à cordes des deuxième, troisième et quatrième mouvements. Le compositeur néerlandais Theo Verbey orchestra en 2006 les mouvements restants.
Theodore Adorno, un ami de Berg, a qualifié l’œuvre de "opéra latent" en disant que "la Suite a le caractère d’un accompagnement, pour ainsi dire, à un cours d’événements qui en est absent".
On retrouve dans cette pièce dodécaphonique un lyrisme presque dramatique, œuvre d’un homme torturé par l’amour. Cet amour clandestin et interdit entre Berg et Hanna Fuchs-Robbetin. Un amour au cœur du musical. On a retrouvé une partition annotée par Berg dévoilant dans le sixième mouvement une ligne vocale se répartissant entre les différents instruments. Elle suit le poème de Baudelaire De profundis clamavi. De plus le compositeur entremêle les initiales : A (la) et B (sib) pour Alban Berg et H (si) et F (Fa) pour Hanna Fuchs.