Alors que le saxophoniste Raphael Imbert faisait se rencontrer, avec une rare acuité, la musique de Bach avec celle de Coltrane grâce aux liens spirituels, de construction harmonique et de "figuralisme musical" qui unissent les deux compositeurs, c’est autours de Nicolas Godin (ex moitié de Air, ex tellement l’avenir du groupe semble s’écrire de plus en plus avec des pointillés) de s’attaquer de biais à l’œuvre du Kappelmeister.
Las de son groupe et de la routine inhérente aux années (ce qui est encore discutable…), Nicolas Godin s’éprend de la musique de Bach, du Wohltemperierte Klavier surtout et de l’interprétation qu’en a pu faire Glenn Gould (nous préférons celle plus sensitive de Richter mais c’est un autre débat…) lui qui était obsédé par la reproduction parfaite de la conception intellectuelle de l’œuvre. Germe alors chez le musicien Français l’envie d’enregistrer sa propre version de l’œuvre mais, limité techniquement au piano, l’idée d’en faire autre chose plus personnelle lui devient évident.
Dans un élan qui n’est pas sans rappeler celui d’Heitor Villa-Lobos, Godin garde la substantifique moelle du compositeur Allemand, ici les grilles harmoniques et autres modulations (ce qui en fait de part sa pérennité et son indéniable influence, sa totale intemporalité) et quelques mélodies qui agissent comme des réminiscences et les utilise comme structure, comme architecture et point d’ouverture vers d’autres esthétiques : bossa nova, pop, presque ambient, musique de film (sans film)… C’est là que se cache le "génie" de Godin, de garder cette trame harmonique, cette conception intellectuelle sur laquelle tout peut-être stylistiquement construit et d’abord les mélodies, le contrepoint en quelque sorte (la mélodie et leurs combinaisons avant tout, une pensée verticale de la musique). Ce fameux contrepoint qui donne son nom à ce disque, la seule musique qui ait de la valeur pour Gould et dont Bach ne cessera d’y revenir.
Godin, grandement aidé par Vincent Taurelle, compose avec beaucoup de classe et d’élégance (euphémisme quand on connaît le personnage) alors des morceaux aux esthétiques plus personnelles. On oubliera rapidement Orca et sa fugue en forme de pastiche, pour se concentrer sur "Widerstehe Doch der Sünde" que Nicolas Godin, tout en gardant la trame mélodique, transforme en chanson pop venimeuse et vénéneuse (déjà pleine de sous-entendus dans l’écriture de Bach) où Gordon Tracks (Thomas Mars du groupe Phoenix) et Dorothée de Koon cèdent au péché.
Ensuite, il érotise et transporte en Italie le prélude et fugue BWV 878 (BWV pour Bach-Werke-Verzeichnis, catalogue des œuvres de Bach rangé par Wolfgang Schmieder par genre et non par date….), joue avec les tritons et donc les dissonances en rendant hommage à Danny Elfman (et à Saint-Saëns un peu aussi) et ses atmosphères musicales (on regrettera juste la présence du célesta un peu trop facile mais rattrapé par une divine orchestration…), sur "Elfe man", fait son Christophe Chassol dans la deuxième partie de "Glenn", fait se rencontrer De Roubaix et Lalo Schiffrin dans "Bach Off", fait swinguer Bach comme Jacques Loussier dans Club Nine, et s’amuse à écrire une bossa nova sur la variation Goldberg BWV 988 dans "Clara". Tout cela en gardant quelque chose qui lui ait foncièrement propre (quelque chose de Air ?...).
Nicolas Godin montre donc avec ce disque tout son talent de musicien, de compositeur et d’arrangeur. Il prouve qu’il est toujours capable de construire de belles pièces musicales, mais surtout il démontre encore une fois - mais cela tout le monde le sait déjà non ? - l’intemporalité de la musique de Bach et de ses constructions mélodiques et harmoniques.