Hopelessness
(Secretly Canadian / Rough Trade) mai 2016
À la première écoute, Hopelessness provoque une sensation édifiante, voire un peu effrayante. Il faut dire qu’Antony Hegarty nous a longtemps habitués à une pop douce aux accents symphoniques et non à une électro sombre et implacable.
Hopelessness frappe très justement notre inconscient, là où nos peurs modernes se dissimulent et nous force à réveiller une conscience politique trop longtemps étouffée. Il faut dire qu’en s’attaquant au réchauffement planétaire, au patriarcat ou aux bombardements téléguidés, l’artiste politise radicalement son verbe et cloue au pilori notre manque d’humanité.
Son propos est méchamment souligné par les productions d’Hudson Mohawk et Oneohtrix Point Never, un duo dont les sons sont aussi affables qu’un coup de barre de métal porté à l’arrière du crâne. L’idée ? Permettre à la chanteuse d’exprimer sa colère, sa peine et sa déception en instillant un sentiment d’urgence glacé.
Réalisation improbable sur le papier, Hopelessness parvient sans hésitation à convaincre nos oreilles. La douceur de la voix d’Anohni est un faux semblant aguicheur, dont la puissance jadis lumineuse s’accommode parfaitement des sonorités sombres des productions. Que ce soit avec "Obama", "Watch Me" ou avec "4 Degrees" la déception, la peur et la fin du monde s’expriment avec une puissance sans précédent. Les titres de l’opus s’enchaînent comme un chapelet de bonnes volontés radicales et polémiques dont transpire une certaine candeur. Car derrière le déterminisme apocalyptique du titre, l’artiste exécute un tour de force en imposant des propos difficiles à assimiler au détour de couplet et de refrains rondement exécutés.
Les massacres par bombardement, la cruauté banalisée du patriarcat et la paranoïa généralisée trouvent une voix juste. Sous ses accents d’Héraut de l’Apocalypse ("Drone Bomb Me" n’est rien d’autre qu’un appel à la mort), Anohni reste chargée d’espoir et livre dans cet opus suffisamment d’espace, pour offrir à son auditoire quelques rayons de lumières.
Féministe, écologiste et artiste, Anohni convoque un album aussi passionné que passionnant. Une expérience aussi nihiliste que constructive, positionnant son auteur au centre d’une tempête bien maîtrisée. À croire qu’Antony and the Johnsons n’ait jamais existé et ce n’est pas plus mal.
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