Comédie dramatique écrite et mise en scène par Isabelle Jeanbrau, avec Benjamin Egner, Karine Huguenin (ou Sandra Parra), Matthias Guallarano, Cécile Magnet et Thibaut Wacksmann.
Tout commence par un instantané photo, une photo d'avant, quand il fallait un appareil et pas un téléphone pour photographier. Une famille est fixée fugacement : le père, les enfants, la grand-mère et l'oncle. Et la mère, Anna, dans tout ça ? Elle sera l'éternelle absente, celle dont l'absence est une absence si obsédante qu'elle en devient peu à peu une présence. rois actes pour que le destin d'Anna ne soit plus un déni et soit résolu à jamais. D'abord, dans la pièce d'à côté d'un repas mécanique et préoccupé, à mourir d'un cancer trop jeune. Puis, vingt ans après, dans une urne oubliée après trop séjourné dans les toilettes. Enfin, sous terre, dans un cimetière difficile d'accès. Isabelle Jeanbrau a dessiné un drame familial très fort en saisissant une famille dans ses rites et ses tics routiniers, ceux qui tournent autour du "manger" et qui occupent le temps et les conversations, qui font la sociabilité de proches qui s'éloignent avec le temps. Quand ils sont définitivement loin des uns des autres, c'est autour d'une tombe à nettoyer, de fleurs à arroser qu'ils se retrouveront tous une ultime fois. On pourrait dire que le théâtre d'Isabelle Jeanbrau est dans la lignée des pièces d'Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri et que ses personnages sont dans ces petits faits quotidiens dont raffole Philippe Delerm. Cependant, c'est plus à un cinéma malheureusement oublié que l'on pense, celui d'un Gérard Frot-Coutaz ou d'un Jacques Davila, où l'on pouvait voir Claude Piéplu ou Micheline Presle nourrir de leur originalité fantaisiste une banalité revendiquée. Ceux qui ont vu "Beau temps mais orageux en fin de journée" trouveront d'évidentes correspondances avec ce "déni d'Anna" et notamment dans cette manière de pousser l'ennui poli de vies réglées comme du papier à musique vers autre chose, vers une direction poétique et saugrenue où les larmes finissent par cesser de se cacher. Récit bien découpé qui bénéficie à chaque enchaînement de l'intervention de Daniel Jea à la guitare et de France Cartigny à la batterie, "Le déni d'Anna" est l'occasion de se régaler de la présence de comédiens à leur meilleur, comme Benjamin Egner dans le rôle de François, le père de famille ou de Cécile Magnet dans le rôle très prenant et très cyclothymique de la grand-mère. Karine Hughenin (en alternance avec Sandra Parra), Thibaut Wacksmann et Mathias Guallarano complètent avantageusement la distribution pour qu'on puisse assister à un vrai moment de théâtre contemporain qui sait raconter une histoire commune à cinq personnages, les suivre pendant un grand morceau de leurs vies sans jamais se répéter ni se caricaturer. Au contraire, autour d'un projet apparemment modeste ne cessent de se sédimenter des faits qui, peu à peu, rendent consistant un travail théâtral qui se révèle au final d'une force dramatique inoubliable. |