"Le monde a changé à partir du forfait Millénium. Désormais, on se parlerait sans limites. On pourrait se dire autre chose que l’essentiel. La jeunesse devenait Millénium, le monde, sous nos yeux, était en train de devenir Millénium. J’ai le Millénium Blues. Vous l’avez aussi ? Est-ce qu’on guérira un jour ?"
Millénium fut le nom d’un forfait téléphonique que les opérateurs de téléphone portable ont proposé à leurs clients pour qu’ils puissent téléphoner de façon illimitée entre eux. Millénium blues, c’est aussi le nouveau roman de Faïza Guène, celle qui se fit connaître du haut de ses dix-huit ans avec Kiffe Kiffe demain, sorti il y a maintenant plus de dix ans, celle qui a écrit plus récemment, Un homme, ça ne pleure pas.
Millénium Blues est le cinquième roman de cet auteure atypique au style percutant. Il porte le regard attachant sur une époque, la sienne, des années 90 jusqu’à nos jours, au travers de la vie de Zouzou que l’on voit tour à tour dans les yeux d’un enfant, d’une adolescente, d’une jeune femme et d’une mère. On suit par épisodes, par âges aussi, le parcours tourmenté de ce personnage et de son amie Carmen, reflet de sa génération, bousculée par l’arrivée du nouveau millénaire.
Le livre est constitué de chapitres courts qui forment des instants de vie du personnage de Zouzou. On navigue entre les drames, les instants de bonheur, des épisodes forts de sa vie intime qui sont toujours liés de près ou de loin à un évènement de notre vie collective, à des moments clés de la période comme la victoire à la coupe du monde de 1998, les élections présidentielles de 2002, la canicule de 2003 ou encore les attentats du onze septembre 2001.
En même temps que ce monde change à la vitesse de l’éclair, l’amitié qui lie Zouzou à sa meilleure amie Carmen perdure. Elle traverse le temps et les épreuves qui frappent Zouzou : ses parents qui divorcent, l’accident de voiture de son amie, ses histoires d’amour ratées et son mariage raté aussi.
Faïza Guène fait le choix de nous narrer cette époque sans utiliser une trame chronologique. L’ordre qu’elle suit dans son livre est l’ordre des émotions, ce qui donne une plus grande dimension au livre sans pour autant nous perdre dans la lecture. Pour nous aussi, nos souvenirs ne sont pas chronologiques après tout. Elle y ajoute un rythme original au travers d’une playlist musical qui nous accompagne tout au long du livre, playlist éclectique qui va de ABBA à Idir en passant par les Guns N’ Roses.
Une fois encore, Faïza Guène nous embarque par son style percutant, fait de phrases courtes et précises, sans fioritures mais toujours pleine de justesse. Elle a toujours l’art de manier l’humour et la dérision tout en maniant très justement les bouleversements importants de sa génération.
Son flux de souvenirs nous emporte, son livre est un pur moment de plaisir dans lequel on s’identifie avec une grande facilité (encore plus pour peu qu’on soit de cette génération comme c’est mon cas). On se surprend très souvent à ressentir les mêmes choses qu’elle sur les nombreux évènements qu’elle raconte. On se souvient d’où on était lorsque les avions se sont encastrés dans les tours jumelles, on se rappelle de Zizou soulevant la coupe du monde. Nos mémoires se télescopent souvent et c’est franchement sympa.
Magnifique roman de toute une génération, roman juste et percutant, Millénium Blues se veut être un livre optimiste tourné vers l’avenir. Il nous donne après l’avoir lu, une terrible envie de continuer à vivre.