Comédie de Yasmina Reza, mise en scène de Patrice Kerbrat, avec Pierre Arditi, Fabrice Luchini et Pierre Vaneck. Avec "Art", Yasmina Reza signe une comédie de moeurs sur le théme des petits règlements de comptes entre amis et des jeux de pouvoir ressortant au genre florissant du théâtre de boulevard sociostyle registre "bobo" des années 1990.
Mais, tel l'arbre qui cache la forêt, sous la trompeuse apparence d'anecdotisme tendance, elle épingle, tel le fabuliste, ni dans la stigmatisation réflexive ni dans le psychologisme, ce qu'elle considère comme le travers majeur de l'homme contemporain, celui du délitement consensuel au nom de la convivialité préservée.
Et elle concocte, sur fond de satire de l'art abstrait, une comédie aussi jubilatoire que fine et cruelle sur le mensonge et l'hypocrisie qui caractérisent l'art de la sociabilité et elle en twiste le dénouement logiquement tragique au terme d'une partition qui fait la part belle à la théâtralité en usant de toutes les genres textuels, de l'aparté au dialogue, dont certains propices à de beaux numéros d'acteur. Celle-ci met aux prises dans le pandémonium trouble des liens amicaux de longue date, trois hommes dont les egos sont soudainement malmenés par le jeu de la vérité/franchise à l'occasion d'un épiphénomène.
Serge, dont l'achat à un prix exorbitant d'un tableau, un monochrome blanc d'un artiste réputé, déclenche les fulminations de son ami Marc, enfermé dans ses humanités classiques, qui voit dans cette acquisition non seulement "une merde blanche" mais une posture d'esthète révélant un inacceptable snobisme qui le déçoivent et un désaveu personnel de valeurs qu'il pensait partagées.
Aussi en appelle-t-il à l'arbitrage de Yvan qui, en douloureuse reconversion professionnelle et stressé par un imminent mariage de raison, opère une médiation molle. Et, comme dans toute confrontation tripartite, les coalitions s'avèrent à géométrie variable et conduisent à la défausse sur un bouc émissaire. Alors, implosion, explosion ou simplement tempête dans un verre d'eau ? Dans le décor de salon impersonnel façon "white cube" de Edouard Laug, Patrice Kerbrat dirige un époustouflant trio de comédiens qui a contribué au succès tant public que critique de l'opus de plus récompensé des Molières millésime 1995 du meilleur auteur et du meilleur spectacle privé.
Jouant et déjouant leur partition avec un plaisir évident, une maîtrise consommée de la comédie et une jubilatoire complicité, Fabrice Luchini, emphatique à souhait dans l'éloge de "l'homme de son temps",Pierre Vaneck en parfait sarcastique, et Pierre Arditi , irrésistible dans les affres du carton d'invitation, dispensent un divertissement de haute volée. |