Comédie dramatique de Jean-Marie Besset, mise en scène de Arnaud Denis, avec Virginie Pradal, Arnaud Denis, Blanche Leleu, Adrien Melin, Jonathan Max-Bernard, Niels Adjiman et Jean-Pierre Leroux.
Philippe Derrien et Robert Lebret, deux architectes attendent dans l'antichambre du ministère d'être appelés pour défendre leur projet de construction sur la Lune. Le projet est d'importance: construire sur la Lune : c'est s'assurer la gloire et la fortune sur la terre, quitter les fins de mois incertains, ou la médiocrité de dessins sans cesse recommencés.
Avant d'arriver à décrocher la lune, il faut passer les sélections du ministère et s'assurer de la bienveillance de Louise Erkanter. Philippe Derrien retrouve Jason Feyder dans le jury du concours, cet ami d'enfance qui a le parfum des amours incestueuses. Nathalie Derrien fait ce qu'elle peut pour aider son mari. Nils Abbot, l'ami de Jason Feyder s'amuse des tensions et des opportunités offertes par un concours dont il n'a que faire.
"Ce qui arrive et ce qu'on attend" est une pièce de 1988, créée en 1993 au théâtre de la Gaité Montparnasse avec Sabine Haudepin et Marie-France Pisier. Ancrée dans la réalité du temps, elle caricature à peine l'inertie absurde et le pouvoir hors de proportion d'une administration ou d'un ministère, lieu de tractations plus ou moins occultes, de faveurs et de contreparties implicites. Elle met en situation des personnages qui ne connaissent plus de frontières, sans cesse en voyage, en mouvement entre les pays et les cultures, aux identités de plus en plus flottantes. Et encore, elle ne fait pas mystère qu'on meure du sida. Nous sommes de moins en moins maître de nous-mêmes, de notre destin, semble nous montrer Jean-Marie Besset. Une vie menacée.
Arnaud Denis a travaillé une mise en scène qui met en valeur le jeu des comédiens : le décor est immuable, un mouvement de meubles figure tantôt l'appartement de Nils, tantôt l'antichambre ou un bureau du Ministère ou de la Direction de l'Architecture.
Virginie Pradal est une Louise Erkanter magistrale, à la fois mante religieuse et brillante fonctionnaire. Elle joue une femme consciente de son pouvoir en tant que directrice de l'Architecture, ce qui semble l'autoriser à donner libre cours à son désir des hommes, Diane Chasseresse qui, d'un bon mot, ridiculise les performances de son amant. Dans un tailleur jupe courte, la coupe au carré d'un noir corbeau, elle est un corps comme on parle du corps de l'Etat, ayant tissé sa toile de façon démesurée, cherchant à se hisser au plus haut, telle perchée sur des talons aiguilles qui vous donnent le vertige. Bien qu'excessive, on ne doute pas qu'on puisse la croiser dans ce genre de circonstances.
Jean-Pierre Leroux est Robert Lebret, architecte en fin de carrière qui a un dossier de références des plus étoffées, mais à qui il manque le chef d'oeuvre qui le placera dans le sérail. Il est sanguin, impatient et éloquent. Il a passé l'âge des examens et des heures d'attente pour connaître ses résultats. Il sait comment ce monde fonctionne et ne se plie que difficilement au protocole d'un autre âge. Il est à la fois séduisant et fourbe. On ne peut qu'approuver ses colères.
Arnaud Denis est Nils Abbot. Il prête à sa longue silhouette un rôle d'intrigant, de mauvais génie, qui rassemble ou divise selon son bon plaisir. Il est le plus spirituel, le plus éloquent de tous, à l'aise dans toutes les tenues, dans toutes les situations. Il déjoue les tentations au vaudeville, plus Oscar Wilde que Sacha Guitry. Il est un accoucheur de désirs.
Jonathan Max-Bernard est Jason Leyder, celui à qui on a tout promis : la belle carrière, les ambitions permises, le pouvoir et qui se sait perdu, victime du Sida. Grave et sombre, il ne sait plus rire, tellement il porte cette colère des espoirs déçus, cette haine de la vie qui vous ment. Il s'est replié, dans un costume de notable et attend la suite.
Blanche Leleu et Adrien Melin sont Nathalie et Philippe Derrien qui apportent une même candeur, ils ont confiance en eux-mêmes , en leur talent, mais dans le monde décrit par Jean-Marie Besset, ça ne suffit pas. Ils pensent s'adapter, mais ils manquent de souplesse et leur patience est déjà le signe de leur soumission et de leur défaite.
Tout s'est défait en effet. La lune, l'astre des rêves et de la magie a fini par s'éloigner peut-être pour toujours. |