Tragédie de Corneille,
mise en scène de
Brigitte Jaques-Wajeman, avec Pascal Bekkar, Raphaèle Bouchard, Sopie Daull, Pierre-Stéfan Montagnier, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Marc Siémiatycki et Bertrand Suarez-Pazos.
Au Théâtre des Abbesses Brigitte Jaques-Wajelman présente avec "Nicomède", que d'aucuns ont découvert en 2008 au Théâtre de la Tempête notamment, et "Suréna", en création, un magnifique diptyque Corneille.
23 ans séparent ces deux pièces en miroir, "Suréna" écrite en 1674 clôturant l'oeuvre de Corneille, et l'office des ans a été de noircir sa plume tout en faisant de l'amour le maître suprême de l'homme et de la quête du bonheur son 'aspiration ultime.
Si la première revêt des allures de farce bouffonne quant aux arcanes de la comédie du pouvoir et connaît un dénouement heureux,
la seconde, comme l'indique Brigitte Jaques-Wajeman, raconte la tragédie des amants crucifiés et scelle le deuil du bonheur : "Suréna, qui gravite autour d’un héros qui ne croit plus à l’héroïsme, est la plus mélancolique et la plus ardente des pièces de Corneille, une sombre tragédie en même temps qu’un poème d’amour et de résistance".
Cette tragédie va se dérouler dans le
décor d'une simplissime évidence de Yves Collet, une salle de réception destinée à un double mariage où est dressée une table nappée de blanc.
Ces mariages conçus pour raison d'Etat sont ceux de la fille du roi d'Arménie, Eurydice, avec le fils du roi des Parthes pour mettre fin à la guerre avec les Romains, et celui de la fille de ce dernier avec son fidèle lieutenant Suréna dont la vaillance et la popularité lui portent ombrage et qui pour le neutraliser n'a qu'une alternative le tuer ou en faire son gendre. Las, Euridyce éprouve un amour partagé pour Suréna et le somme de refuser cette union. Le drame est noué.
Toute la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, fluide et totalement maîtrisée, tend à faire entendre le magnifique verbe cornélien qui, dans cet opus peu connu du public, tend au sublime.
Sa direction d'acteurs conjuguée à l'interprétation de comédiens inspirés qui possèdent suffisamment de métier et d'intelligence du texte pour restituer les alexandrins comme une langue naturelle sans verser dans la déclamation, rendent ce spectacle exemplaire.
Pascal Bekkar, Sopie Daull, Aurore Paris, Thibault Perrenoud et Marc Siémiatycki ainsi que Pierre-Stéfan Montagnier stupéfiant en roi pleutre et ingrat entourent l'ébouissant couple-phare emporté par une passion incandescente que constituent Bertrand Suarez-Pazos et Raphaèle Bouchard.
Tous les deux au diapason, lui en héros magnifique prêt à l'issue ultime qu'il sait inexorable ("Mon vrai crime est ma gloire, et non pas mon amour : je l'ai dit, avec elle il croîtra chaque jour. Plus je les servirai, plus je serai coupable et s'ils veulent ma mort, elle est inévitable"), elle, en amante absolue
("Vous causez sa perte, et n'avez point de pleurs !
Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs."),pour lesquels la noblesse de l'âme n'a d'égal que l'amour totalement charnel, délivrent une prestation imparable.
Un spectacle exceptionnel qui conforte l'intemporalité et la percutance des chefs d'oeuvre du répertoire classique qui puisent au coeur de l'humain et peuvent se dispenser de relectures ou revisitations visionnaires. |