Impression post-première écoute : si je ne me trompe pas, dans cet album, il ne rappe pas. Du tout. La dominance des consonnes, c'est fini. Plus de vindicte, maintenant c'est voyelles et introspection complète. Il faut dire que le mec a passé les deux dernières années à méditer dans le cimetière de Spring Grove à Cincinnati, faire du yoga et des exercices de respiration inspirés par Wim Hof, et enregistrer des podcasts de plus d'une heure avec les humains qui peuplent son réseau de connaissances. Le mec va mal. Le mec est en dep.

Mais ce n'est pas l'album de la dépression, c'est l'album de la lutte contre elle. Yoni Wolf est vivant, et en soi, c'est une surprise. Je pensais sincèrement qu'il ne passerait pas les 35 ans. Depuis son premier album, il a eu le temps de devenir fou, puis végétalien, puis malade, puis fou. Mais pas mort.

D'un point de vue discographique et biologique, il y a manifestement trois choses qui le sauvent de manière récurrente : avoir des prémonitions, bien parler de sa face et enregistrer des chants de sirènes. Les prémonitions, on les relève en suivant chronologiquement les paroles de ses chansons. Il y écrit généralement son futur, sans trop se tromper. Le mec a été hypocondriaque puis malade ; il met en chanson son futur suicide puis entreprend de se soigner pour l'éviter ; et là dernièrement, il se plaint des tournées sans fin puis devient agoraphobe pour les besoins de ce nouvel album. Alors en effet, il en parle et expose sa face, avec des filtres plus ou moins obscurs et plus ou moins teintés d'humour.

C'est comme ça, Yoni Wolf s'est toujours beaucoup mâté le nombril, c'est un aspect fondamental de sa musique. Sauf qu'à un moment, il s'est mis à en sortir un gros paquet de bourres et c'était devenu un peu dégueu à écouter. D'ailleurs, le petit passage à vide de son parcours (en gros l'album Eskimo Snow, quoi), c'est le moment où on le voyait venir à des kilomètres. Là, plus rien ne semblait pouvoir le sauver. Plutôt que coup d'avance et chants de sirènes, c'était gros sabots et gyrophare. Il y a eu ce moment pénible, chez ceux qui comptaient sur sa prévoyance et sa pertinence, où on l'a vu traîner ses réflexes comme des vieilles sacoches.

Heureusement, les voix de sirènes sont arrivés. Depuis le très réussi Mumps Etc. d'il y a quatre ans, elles sont là, surgissent avec des très belles et courtes parties de chant pour décanardiser, le temps de quelques secondes la voix de Yoni, qui reste tout de même un sacré nez sur pattes.

Un autre truc notable après une première écoute : le groupe joue mieux que jamais, et la voix chantée de Yoni est encore meilleure. Il a arrêté de crooner, il a arrêté le vibrato, il a même arrêté les effets et la jolie réverb présente sur tous les albums de Why? depuis le deuxième. Je trouve que le disque ressemble beaucoup au précédent, mais en version augmentée - ou plutôt soustraite, là où il fallait.

Il y a aussi des éléments de feel-good music qui est, comme chacun sait, un style musical particulièrement prisé par les tyrans control-freak. Des relents de musiques épiques aussi. Mais c'est normal : le mec se bat en permanence quand même, ne l'oublions pas. Contre soi-même la plupart du temps. Et c'est d'ailleurs ce qui fait de Why? le plus bel équivalent musical d'une série télé dont on chérit l'ensemble, et qu'on défendra toujours bec et ongles même si la saison 4 craignait un peu.

Le plus drôle finalement, c'est que Jonathan Richman avait bien évidemment déjà prévu tout ça, toute cette chronique, tout cet album. En une seule chanson. En 1983. "Somebody To Hold Me".