Comédie dramatique de Samuel Beckett, mise en scène de Bernard Lévy, avec Gilles Arbona, Thierry Bosc, Annie Perret et Georges Ser.
En quelques semaines, deux versions de "Fin de partie" ont été proposées aux spectateurs parisiens. Preuve s'il en était besoin de l'actualité de Samuel Beckett.
Sans succomber au jeu des comparaisons, la version de Bernard Levy est bien différente de celle mise en scène à l'Odéon-Théâtre de l'Europe par Alain Françon. Alors que ce dernier tirait la pièce vers une tragédie clairement shakespearienne, la lisant comme une œuvre noire sur la mort de l'humanité, c'est une toute autre lecture que Bernard Levy fait de "Fin de partie".
Une lecture qui semblera plus conforme aux intentions énoncées par Beckett et reprises par Roger Blin lors de la création de cette œuvre en 1957. D'emblée, Bernard Levy se met sous le patronage de Beckett puisque, après la levée du rideau, la scène reste filtrée par une toile transparente sur laquelle apparaît la couverture de l'ouvrage avec son titre "Fin de partie", puis les indications scéniques, les didascalies que l'on peut lire à la première page du texte de Beckett.
Apparaît alors seulement la scène, qui respecte ce qu'on vient de lire, mais d'une façon que l'on qualifiera d'elliptique, car le décor auquel tenait par-dessus tout Beckett est ici suggéré par une structure en "fil de fer", une belle structure que l'on croirait dessinée au feutre noir par Giulio Lichtner.
Les "deux petites fenêtres haut perchées, rideaux fermées" sont ainsi des carrés de fil de fer suspendus. Tout cela donnant un effet de légèreté, un côté aérien renforcé par les lumières, les belles lumières de Christian Pinaud, qui évolueront subtilement du gris au gris bleu pendant qu'Hamm, l'aveugle paralysé sur son fauteuil à roulettes, et son compagnon Clov, ses yeux et ses jambes malhabiles.
Bernard Levy a cherché avant tout à retrouver le mystère, l'absurde, l'humour de Beckett par la voie de la limpidité, de la simplicité.
Thierry Bosc compose un Hamm, plus humain, moins tyran que celui de Serge Merlin dans la version Françon. Il n'humilie par Clov, paraît moins aigri, moins haineux quand il interpelle Nagg, son "géniteur" sortant de sa poubelle. Dès lors, on a l'impression qu'il s'interroge autant que son auteur sur l'absurdité de sa condition inouïe, qu'il se délecte des mots qui sortent de sa bouche, de ces dialogues avec Clov qui font mouche et qui font ici vraiment rire.
Pièce méta-ironique autant que métaphysique, "Fin de partie" est autant un exercice sur les mots que sur les choses, une analyse amusée dans sa désespérance.
Tout va finir, le sort en est jeté, mais est-ce une raison pour ne pas se souvenir que l'homme est passé, qu'il a jeté comme des bouteilles à la mer des histoires qu'il a inventées et qu'il a ensuite inlassablement répétées ? N'est-ce pas une raison pour continuer jusqu'au bout à parler, à dire des bêtises ou des vérités ?
Aux côtés de Thierry Bosc, humain en Hamm, Gilles Arbona est un Clov qui n'est pas si soumis que ça, pas si pataud que ça. Il met de l'espoir dans le désespoir de sa condition implacable.
Bref, c'est une version lumineuse de "Fin de partie" qui est suggérée plus qu'imposée, et sur laquelle passe souvent la grâce théâtrale. Quand Hamm repose son linge sur son visage, on est étourdi, sans voix. Fin de "Fin de partie". |