Monologue de Serge Valetti dit par Pierre Marzin dans une mise en scène de Claude Bonin.
Au bout du comptoir, c'est l'endroit où échoue Monsieur Stephan, une fois terminé le spectacle du Casino qui surplombe la mer. Le Casino qui recèle les rêves de richesse est un paquebot amarré à jamais, où les gens viennent s'inventer des destins hors du temps.
Tout est là pour distraire les vacanciers et les enivrer d'illusions. Monsieur Stephan est l'un des amuseurs, le Monsieur Loyal du Casino, drôle par devoir, joyeux par profession. Les clameurs, les rires grossiers, les lumières de la fête revenus au silence et à l'obscurité, il s'accoude au comptoir d'un bar fantôme et se laisse envahir par les sentiments: reflux d'amertume et de colère.Monde chimérique du spectacle ! Qui est ce Monsieur Stephan? A-t-il un chien Flippo ? Est-ce qu'il note vraiment sur l'ardoise du bistrot désert le compte de ses consommations dues? Est-il sincère ? Est-il fourbe? A-t-il le moindre des talents qu'il se prête?
Peu importe : c'est sur les chemins buissonniers qu'il produit son meilleur numéro, comme possédé par les mots et les images. Emporté par la houle, le trop plein. Dans le fatras, le fracas de l'homme blessé se cachent toujours quelques perles. Inutile de scruter le ciel, le discours a ses étoiles filantes, ses fulgurances.
Serge Valletti écrit ce texte pour qu'il soit joué dans les bars, qu'il vienne à la rencontre d'un auditoire peut-être intimidé par le théâtre et son faste: des oreilles plus habituées aux chansons populaires qu'aux tirades de Corneille. Qu'a t-il construit d'autre qu'un personnage qui se voyait déjà en haut de l'affiche, qui a tout essayé pour sortir de l'ombre et qui se console de penser que c'est le public qui n'a rien compris. L'auteur a-t-il rêvé en écoutant Aznavour ? Ou Aznavour s'est il inspiré d'un Monsieur Stephan ?
Et on se prend à imaginer qu'un pilier de comptoir prenne affectueusement notre comédien par le cou pour lui répondre: Non Steph t'es pas tout seul et arrête de te répandre ... comme le chantait Brel.
Claude Monin a respecté dans sa mise en scène, la proximité, la familiarité souhaitées par l'auteur. Il produit le spectacle dans des bars authentiques qui ont déjà leur caractère et leurs habitués. C'est au comédien de se fondre dans le décor, de trouver ses marques et ses déplacements.
C'est un "seul en bar" plutôt qu'un seul en scène pour le comédien Pierre Marzin qui rend toute la complexité de son personnage: aussi fanfaron qu'émouvant, aussi prétentieux que fragile: un portrait d'homme funambule qui ranime son enfance à l'aide de quelques whiskys.
"Au bout du comptoir, la mer !" est un spectacle ... aux reflets d'argent. |