Textes de Henri-René Lenormand et Alison Cosson, mis en scène par Patrice Bigel, avec Mara Bijeljac, Simon Cadranel, Raphaële Carril, Roland Dupouy, Karl-Ludwig Francisco, Mirjana Kapor Huerre, Charly Hamel, Martine Lamy, Émilie Olivier, Valentine Riedinger, Gilles Van Bunnen et Éloïse Vereecken.
Qui aujourd'hui connaît Henri-René Lenormand ? Il fut pourtant l'un des auteurs dramatiques les plus joués et les plus célèbres de l'entre-deux-guerres. Wikipédia le crédite même d'être l'inspirateur de la nouvelle d'Arthur Schnitzer à l'origine du "Eyes Wide Shut" de Stanley Kubrick...
Référence singulière pour quelqu'un qui a précisément écrit une pièce en trois actes, "Crépuscule du Théâtre" qui raconte comment le cinéma est en train de se substituer au théâtre, à la fois physiquement, en reprenant ses murs, et intellectuellement, en colonisant son imaginaire.
C'est à partir de ce "Crépuscule du Théâtre" qu'est né le projet de "Déjà la fin ?". Alison Cosson a décidé de dépoussiérer cette pièce datée et de lui adjoindre de nouveaux monologues qui éclairent sa problématique pour les spectateurs du 21ème siècle.
Souvent, "dépoussiérer" une œuvre est synonyme de trahison, mais qu'en est-il quand la pièce est tombée dans l'oubli ? Vaut-il mieux qu'elle y reste dans son intégrité ou qu'elle soit "transformée" et rejouée ?
C'est la question qu'on se posera après avoir découvert ce que Patrice Bigel a fait de "Déjà la fin ?", c'est-à-dire un spectacle qui résonne fortement à l'heure où c'est justement au tour des derniers cinémas qui ont succédé aux théâtres de se transformer en supermarchés et en garages...
Sur le vaste plateau de l'Usine Hollander, les acteurs de la Compagnie La Rumeur se déploient et se déplacent sans cesse pour raconter la fin d'un théâtre, de ses vivants et de ses morts, de ses fantômes et de ses légendes.
Cette "dernière séance", où chacun continue à être encore une dernière fois la caricature de ce qu'il a été, est conçue par Patrice Bigel comme une vague qui va se fracasser contre le mur d'un nouveau monde qui emporte le précédent.
On sent qu'un auteur progressiste comme Henri-René Lenormand y voyait un mouvement dialectique et pas une fin propice à la nostalgie. Dommage qu'il n'ait pas, à l'instar de ces auteurs "bourgeois" qu'il n'aimait guère, trouver un moyen de pénétrer dans l'univers du septième art...
Dans "Déjà la fin ?", quand on parle du cinéma, notamment par l'intermédiaire d'une des comédiennes qui revient d'un tournage, on y voit une figure du diable, un summum du vulgaire qui remplace la vérité du théâtre par quelque chose d'absolument artificiel. Et pourtant, et tous les grands théoriciens du cinéma en conviennent désormais : les grands films doivent tout au théâtre, qu'il s'agisse d'un western comme "Rio Bravo" ou d'une comédie comme "La Règle du jeu".
En choisissant de mettre un point d'interrogation à "Déjà la fin ?", Alison Cosson a fait le bon choix : la fin du théâtre n'est qu'une hypothèse fumeuse. Il suffit de voir ce que Patrice Bigel fait de ce sujet pour admettre que l'art pratiqué par Lenormand est toujours bien vivant et même étonnamment vivant.
Ce qui s'y exprime, "plus grand que la vie" à l'instar du "bigger than life" hollywoodien, ce sont des sentiments éternels, des propose vrais, signifiants et à la portée de toutes les oreilles. Bref, un théâtre populaire prêt à être vu et écouté de tous. |