Performance de Maura Baiocchi autour de textes de Antonin Artaud.
Evoquer la longue figure glabre d'Antonin Artaud, ses mots incandescents jetés dans les flammes de la folie, son chemin torturé peuplé de cactus magiques et d'électrochocs, c'est déjà sortir de la banalité pour rejoindre ce singulier qui a nom poésie. Celui que Serge Gainsbourg rangeait parmi ses "affreux de la création", et qui fut l'halluciné Marat du "Napoléon" d'Abel Gance, est un de ces clochards célestes dont il faut périodiquement redécouvrir le n'importe quoi parcouru de fulgurances géniales. Pour cela, l'intrépide aura besoin d'un guide, lui aussi capable de se hisser sans hâte hors des chemins battus, quelqu'un d'improbable dont la présence deviendra immédiatement une évidence. Maura Baiocchi est de cette trempe. Béret sur la tête, visage grimé avec des sourcils proéminents et un nez rouge qui évoque autant le rhume persistant que le clown, trop habillée comme si elle sortait de la clinique de Rodez, elle arrive d'où on ne l'attendait pas : de l'arrière de la salle. Puis, elle rejoint lentement la scène, un cahier gribouillé de mots d'Artaud en mains, apostrophant quelques spectateurs, leur demandant parfois de lire une phrase.
Entre Nosferatu et Pina Bausch, dans la langue du "Mômo", elle crée d'emblée un climat d'une étrange étrangeté. Il ne s'agira donc pas d'une lecture de textes, mais d'une performance autour de l'auteur du "Théâtre de la cruauté". Maura Baiocchi est "Madame Artaud", danseuse et sorcière brésilienne, actrice esquissant un ricanement, ou chuchotant un a-parte distancié. Imposant sa maîtrise sans jamais faire peur, elle a le pas léger et semble même voler parmi les vidéo-projections qui enrobent le mur de la scène. Peu à peu, les textes d'Artaud deviennent moins abscons, s'éclairent dans les hésitations savantes et les répétitions feintes de l'actrice pour trouver le juste mot. Le tout s'achèvera en interminable apothéose avec la conférence prononcée par Artaud au Vieux-Colombier en 1947. Revenu d'entre les morts après avoir subi les lubies électriques du Docteur Gaston Ferdière, le voilà livrant ses secrets déraisonnables. Maura Baiocchi est au-delà de l'incarnation. Terriblement duplice, elle est Artaud sans jamais cesser d'être l'actrice qui le joue. Leçon sur l'art de jouer, sa performance laissera pantois.
Qu'elle ait eu tort ou raison de surjouer Artaud, qu'elle ait provoqué de l'irritation ou de l'admiration, qu'elle ait laissé de marbre ou ému, plus rien n'a d'importance : les mots du "Mômo" ont atteint leur cible et c'est là sa prouesse essentielle et nécessaire.
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