Comédie dramatique de Marivaux, mise en scène de Filip Forgeau, avec Féodor Atkine, Hélène Bosc, Arno Chéron, Guillaume Cantillon, Soizic Gourvil, Hervé Herpe et Nicole Kaufmann.
Colette Nucci, la directrice du Théâtre 13, a du flair et du goût pour concocter une programmation éclectique de spectacles toujours excellents, produits par des compagnies éclairées, qui, par ailleurs, s'inscrivent, par leur singularité et leur exigence, en contrepoint de ceux présentés dans d'autres hauts lieux comparables.
Après, récemment, "Le mandat" de Nicolai Erdman, "Les revenants" d'Henrik Ibsen, "Les forains" de Stéphane Wolkowicz, "Gengis Khan" d'après Henry Michau, voici "La dispute" d'après Marivaux montée par la Compagnie du Désordre spectacle totalement enthousiasmant et envoûtant.
Filip Forgeau, metteur en scène inspiré, a adapté la pièce de Marivaux avec une intelligence, une acuité et une pertinence époustouflantes. Ici, "La dispute" se déroule dans un monde bien éloigné du marivaudage stéréotypé, du libertinage léger et de la musique de chambre. La scénographie inventive d’Alain Pinochet et la musique originale de Renn Isaac vont sonder les coeurs et les corps dans ce qu'il sont de plus charnels et violents.
Dans un somptueux et étonnant décor baroque et décadent de Claude Durand, palais délabré et théâtre du monde, laboratoire magique et décor de théâtre, Filip Forgeau a créé ce qu'il présente, à juste titre, comme un conte de fées cruel dans lequel "Les Liaisons dangereuses" auraient rencontré "Alice au pays des merveilles".
Un couple princier, figures fantomatiques et démiurges lunaires, le Prince et Hermiane, déclinaisons vertueuses et philosophes, peut être, de Valmont et de Madame de Merteuil, tout de noir vêtus, ne sont plus acteurs de leurs propres explorations du monde des passions.
Féodor Atkine et Nicole Kaufmann, tous deux magnifiques, incarnent les maitres de jeu d'une étrange cérémonie secrète : l'autopsie de l'âme directement in vivo, sur des cobayes humains plongés dès la naissance dans les conditions de vie originelle. Car leur dernière conversation de salon a laissé irrésolue la question du sexe coupable de l'inconstance amoureuse.
Le rideau peut alors se lever sur un spectacle d'une intensité, d'une virtuosité et d'une beauté qui ravit l'âme et les sens. Un spectacle dont on ne saurait anticiper le dénouement. Voilà qu'apparaît la première des quatre créatures qui vont raconter l'histoire du sentiment amoureux, de la découverte de l'autre et de la passion mais aussi du désir, de la séduction et de l'inconstance. Elle répond au doux nom d'Eglé, superbe et gracile Soizic Gourvil qui éblouit par son incarnation de l'origine du monde, de celle qui découvre sa beauté.
Et voici Azor, Arno Chéron, dans l'émerveillement craintif de l'amour. Puis, un couple miroir, Hélène Bosc et Guillaume Cantillon. L'action peut se nouer. Quatre jeunes comédiens totalement dans le sentiment de leur personnage. La scène de la découverte de la rivalité entre les deux jeunes filles est un pur moment de bonheur.
La prose de Marivaux, conservée en l'état, est d'une limpidité de cristal comme le visage de la femme qui se regarde pour la première fois dans l'eau d’un ruisseau. Elle est légère, sensuelle, fraîche mis aussi acérée comme une lame de rasoir. Elle tranche dans le vif de la chair juvénile avec la spontanéité et l’innocence de la nature, dépourvue de contrainte sociale et de culpabilité. Car finalement, n'y aurait-il pas qu'amour de soi ?
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