Drame
d’après Johann Wolfgang von Goethe, mise en scène
Eimuntas Nekrosius, avec Vladas Bagdonas, Povilas Budrys, Diana
Gancevskaite, Kestutis Jakstas, Gabrielia Kuodyte, Elzbieta
Latenaite, Viaceslav Lukjanov, Viktorija Streica, Salvijus Trepulis,
Vaidas Vilius, Sakalas Uzdavinys et Margarita Ziemlyté.
Dans le "Faust" de Goethe, le vieil érudit
insatisfait et désespéré, obsédé
par la quête du savoir et tourmenté par le temps
qui passe qui compromet son but de percer le mystère
ultime de la vie, et qui se voit proposer un pacte diabolique
est également l'objet d'un pari entre Dieu et le Diable.
Dispensé en lituanien surtitré, ce drame de l'humanisme
athée mis en scène par Eimuntas Neckrosius prend
une dimension magique qui entraîne simultanément
le spectateur dans les ténèbres des légendes
d'un autre siècle et dans les méandres métaphysiques
de la pensée humaine universelle.
Vladas Bagdonas, comédien magique au beau visage d'âpotre,
donne au personnage une dimension titanesque face à Salvijus
Trepulis Méphistophélès trouble et à
la belle Elzbieta Latenaite qui révèle une Marguerite
elfique.
Ce spectacle à l'esthétique superbe est d'une
beauté étrange et d'une inquiétante étrangeté
suscitée par des codes de jeu qui ressortissent davantage
au spectacle d'art total incluant la danse, l'installation plasticienne
et la pantomime faisant de chaque scène un tableau vivant
aux teintes sourdes et aux clair-obscurs terriens qui appellent
des réminiscences avec Rembrandt et Bosch.
Il s'agit davantage sans doute d'une méditation onirique
et visionnaire que d'une représentation théâtrale
au sens strict du terme dans laquelle texte et la parole ne
constitue qu'un des éléments d'une divagation
poétique et conceptuelle.
Très vite, l'attention se focalise sur ce qui se passe
sur scène, l'œil abandonnant la lecture fastidieuse
du surtitrage qui s'avère d'ailleurs inutile d'autant
que l'intrigue de Faust est connue et que la prose poétique
de Goethe s'accommode davantage de la lecture. Le spectateur
bercé par un thème musical récurrent de
Faustas Laténas, qui tient du néo-romantisme et
du minimalisme d'un Philip Glass sous tranquillisant, et fasciné
par la mélopée imprimée par la langue lituanienne,
quitte ce monde pour un voyage sensoriel et mental qui constitue
un vrai moment de grâce, un moment d'éternité
suspendu dans l'espace pendant lequel il a emboîté
le pas incertain de Faust.
Peu importe si les répliques n'ont pas été
décryptées au mot à mot, si des éléments
du décor conservent leur mystère métaphorique,
si l'expression par l'image et la forme prime la verbalisation,
et pour le moins surprenant, que d'aucuns, parmi les critiques,
qui appartiennent à la catégorie des "journalistes
culturels plus spécifiquement attachés au théâtre",
ceux que Pierre Notte a caricaturé dans sa comédie
"Journalistes", qui déplorent le manque de
documentation pédagogique pour expliquer ce qu'ils vont
voir sur scène.
Un spectacle, comme tout oeuvre d'art, ressortit d'abord au
domaine du ressenti, à l'immersion dans l'univers et
le verbe d'un auteur tel qu'il est sublimé sur scène. |