Comédie dramatique de Eugène Ionesco, mise en scène de
Emmanuel Demarcy-Mota, avec Serge Maggiani,
Hugues Quester,
Valérie Dashwood,
Charles Roger Bour, Sandra Faure,
Gaëlle Guillou,
Sarah Karbasnikoff,
Walter N’guyen, Stephane Krähenbühl, Gérald Maillet,
Pascal Vuillemot, Philippe Demarle et Jauris Casanova.
Emmanuel Demarcy-Mota présente une "re-création", six ans plus tard et avec les mêmes interprètes, de "Rhinocéros", pièce emblématique de l'oeuvre de Eugène Ionesco et du théâtre de l'absurde.
Métaphore de la soumission à l'idéologie totalitaire et de la disparition de l'humanité, la trame en est simple : après le passage d'un rhinocéros, surgi de nulle part qui traverse en trombe un village, tous les habitants sauf un vont se transformer en rhinocéros.
Délaissant la politisation réductrice et y substituant la résonance avec la contemporanéité, Emmanuel Demarcy-Mota présente la substantifique moelle, intemporelle et universelle, de cet effrayant opus datant de plus d'un demi siècle qui avait pour point de mire les idéologies fascistes, de droite comme de gauche, empoisonnèrent l'Europe de la première moitié du 20ème siècle.
Et il propose un spectacle intelligent, passionnant, fluide, presque chorégraphique, qui fait enfin entendre et comprendre le texte d'Ionesco, souvent cantonné à la partie émergée du comique induit par le dérèglement du langage, en ce qu'il montre la servitude volontaire et le formatage consensuel des individus pour appartenir au troupeau, un troupeau de moutons qui peuvent devenir enragés.
Dans une atmosphère de crépuscule, à la fois fantastique et apocalyptique, et un décor monumental de métal noir à la Pierre-André Weitz, conçu par Yves Collet, Emmanuel Demarcy-Mota orchestre de manière époustouflante les différents registres utilisés par Ionesco, du tragique au comique en passant par le burlesque
-
avec la belle variation "catastrophe" du séisme du deuxième tableau qui met en exergue le microcosme du bureau - et le thaumaturgique ainsi que le talent de treize comédiens exceptionnels dans une prestation chorale imparable.
Parmi eux, Hugues Quester campe avec virtuosité le personnage de Jean notamment lors de sa violente métamorphose, sans aucun effet spectaculaire, uniquement par l'incarnation du déchirement et de la dépossession de soi.
Quant à Serge Maggiani, grande silhouette dégingandée, voix trainante à la scansion dépourvue d'inflexion, il est parfait dans le rôle du anti-héros, l'homme qui veut être dans le monde et ne s'y reconnaît pas, petit fètu de paille balloté par le séisme rhinocétique mais qui résiste à l'hystérie collective et à la fascination d'un nouveau dieu, hermétique à la propension humaine à l'endoctrinement. |