Spectacle conçu et mis en scène Lucie Berelowitsch d'après les oeuvres de Sophocle et Bertold Brecht, avec Ruslana Khazipova, Roman Yasinovskiy, Thibault Lacroix, Diana Rudychenko, Anatoli Marempolsky, Nikita Skomorokhov, Igor Gnezdilov, Alexei Nujni et les Dakh Daughters.
Le décor représente la place devant le Palais de Thèbes, surplombé d’une passerelle. L’action démarre lorsqu’on annonce la victoire de Thèbes. Les deux frères Etéocle et Polynice, aux conceptions radicalement différentes, se sont entretués. Et tandis que l’un est enterré, l’autre est laissé sans sépulture à pourrir, prêt à être dévoré par les chiens et les vautours.
C’est ce que ne tolérera pas Antigone qui, au mépris de ce qu’a ordonné le roi Créon, et sans que sa sœur Ismène ne la suive, ira pendant la nuit tenter de recouvrir son frère de terre. Elle sera arrêtée et devra être emmurée vivante.
Pour ce projet né à la suite du voyage en Ukraine en avril 2014, Lucie Berelowitsch qui a fait ses études de théâtre au Conservatoire de Moscou a choisi d’utiliser autant l’Antigone de Sophocle que l’Antigone de Brecht, d’en réécrire quelques passages au plateau avec des comédiens ukrainiens pour la quasi-totalité et de le faire jouer en russe.
A gauche de la scène, le groupe féminin des Dakh Daughters compose le chœur, complètement intégré à la mise en scène donc, dispensant des intermèdes parlés ou chantés qui mettent en relief la tragédie. Ce cabaret dans l’histoire donne une dimension encore plus forte au drame qui se joue, en y accentuant l’absurdité et la folie meurtrière.
Lucie Berelowitsch a conçu un spectacle hypnotique et dense de bout en bout qui vous happe littéralement, dont chaque phrase va au bout de son sens et où la tragédie monte peu à peu en puissance. Il y est question d’honneur et d’amour, de révolte et de courage. Et de défendre ses idéaux. Evidemment, la pièce renvoie aux récents événements de Maïdan, ce qui donne un impact encore plus fort à l’action qui se déroule.
Les comédiens ukrainiens sont tous extraordinaires notamment Ruslana Khazipova (qui fait partie elle aussi des Dakh Daughters) en vibrante Antigone (tendance punk). Montrant toutes les facettes du personnage, elle est éminemment crédible et touchante.
Thibault Lacroix est quant à lui un incroyable et impressionnant Tirésias, le devin, qui livre dans une scène hallucinante à la fin de la pièce un monologue à couper le souffle qui vient répondre à Créon, rendant toute la modernité du propos au texte de Brecht dans un français qui contraste avec le russe ou l’ukrainien utilisés jusque là.
A la fin, l’accalmie promise n’aura été que de courte durée et les combats reprennent. Selon les mots de Tirésias, on comprend que "la guerre appelle la guerre et se retourne contre celui qui la fait". "La sagesse est la première des richesses" dit-il aussi dans cet "Antigone" flamboyant et habité qui ne cesse d’interroger et restera à coup sûr dans les mémoires.
Un spectacle choc phénoménal comme le théâtre en offre trop peu. |