Spectacle conçu et mis en scène par Krzysztof Warlikowski d'après l'oeuvre de Marcel Proust, avec Mariusz Bonaszewski, Agata Buzek (en alternance Magdalena Popławska), Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska- Krzysztofik, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Maria Łozińska, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Bartosz Bielenia, Jacek Poniedziałek, Maciej Stuhr, le danseur Claude Bardouil et le violoncelliste Michał Pepol.
A la lecture du générique, aucune ambiguïté n'est possible : le spectacle intitulé "Les Français", adaptation de "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust par le metteur en scène-créateur polonais Krzysztof Warlikowski, avec la collaboration du dramaturge Piotr Gruszczyński, ne saurait constituer une simple transposition théâtrale à la manière d'un "chromo" sur les plaisirs mondains de la Belle Epoque et de la comédie de salon.
Au demeurant, le décor conçu par sa scénographe attitrée Małgorzata Szczȩśniak, un open-space impersonnel avec un immense bar en fond de scène et un algeco vitré, espace de jeu mobile qui véhicule les réminiscences proustiennes et des barres de néons latéraux, ne laisse aucun doute.
Contextualisée dans un présent indéfini, cette oeuvre sacralisée au pinacle du panthéon littéraire qui ressort au grand roman à épisodes et retrace les obsessions de son auteur, est abordée à travers celles similaires du metteur en scène que sont la judaïté, l'homosexualité et la culpabilité.
Ainsi Krzysztof Warlikowski qualifie sa proposition d'installation, forme qui lui semble appropriée pour aborder l'oeuvre de Proust qu'il considère comme "un écrivain du fantasme", et qui se présente sous forme d'un enchainement de séquences qui préfigurent, à travers la déliquescence de la grande société à l'antisémistisme atavique et les perversions de la classe bourgeoise, l'Histoire de l'Europe du 20ème siècle.
Ordonnés en trois parties qui reprennent la titulature de "La Recherche", à l'exception toutefois de Combray relatif à l'enfance, tout en conservant partiellement sa chronologie, les tableaux se déroulent dans un rythme lent, presque anesthésiant, modulés par la musique hypnotique de Jan Duszyński et les vidéos de Denis Guéguin, des images de baisers en plan rapproché et de métaphores animales et végétales d'un Eros polymorphe qui défilent en boucle.
Entre le son du glas en ouverture et une liste nécrologique en quise d'épilogue, la partition émaillées d'inserts exogènes à visée politique, dont un saisissant extrait profératoire de l"Ultimatum" écrit en 1917 par Fernando Pessoa, qui s'inscrit néanmoins dans l'esprit de l'oeuvre originale, est superbement délivrée par les excellents comédiens de la troupe du Nowy Teatr de Varsovie dirigé par Krzysztof Warlikowski.
Pendant près de quatre heures jamais pesantes, le spectateur est entraîné dans un rêve étrange et délétère à l'esthétique fascinante dans lequel les personnages centraux de Proust, ces "mensonges vivants" selon les mots Jean Cocteau, les Guermantes, les Verdurin, les Swann, le baron de Charlus lagerfeldien, le séduisant Robert de Saint Loup et la fameuse Albertine, déjà embaumés enterrent leur siècle. |