Tragédie de Laurent Gaudé, mise en scène par Alexandre Tchobanoff, avec Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel et Prisca Lona.
"Cendres sur les mains" s'inscrit dans la veine scripturale du romancier et dramaturge Laurent Gaudé relative à l'exploration du thésaurus fondateur des mythes et du tragique antique et à leur mise en résonance avec des événements contemporains dans une approche du passé comme histoire mémorielle.
En l'espèce, il traite de l'intemporalité et l'universalité de la barbarie dans les conflits armés entre états comme dans les confrontations internes notamment ethniques ou confessionnels en déclinant ses tropismes dramatiques de la relation avec la mort, la culpabilité et la mémoire et ce avec trois personnages sans identité autre que leur fonction symbolique.
En un temps et un lieu de guerre indéterminés, et après une longue errance une femme rescapée d'un massacre de civils arrive sur un site infernal, celui des bûchers sur lequel s'activent deux hommes affectés aux basses oeuvres chargés de la disparition organique du corps des victimes pour effacer les traces des ignominieuses exactions.
Sa présence et son comportement évoquant un rituel funéraire, vont troubler les "nettoyeurs" qualifiés de brutes stupides soudain traversés de fulgurances métaphysiques.
La proposition de la Compagnie Le Théâtre de Demain s'avère convaincante avec la mise en scène d'Alexandre Tchobanoff qui opte pour une judicieuse et bienvenue radicale sobriété sans surligner la partition de Laurent Gaudé dont suffisent la force et l'acuité.
Sobriété également pour la scénographie avec un dispositif scénique minimaliste, des gisants en sacs de jute et quelques flashs cinétiques, essentiellement porté par des lumières crépusculaires, et pour l'interprétation affranchie du réalisme naturaliste. Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel s'avèrent accomplis pour camper le duo brossé à la manière burlesque beckettienne et Prisca Lona magistrale, toujours dans la note juste d'une voix polysémique, destin, mémoire et implacable pythie.
Ils suscitent une émotion puissante, non celle humorale ou compassionnelle, mais celle profonde sur le sens de l'être au monde, chacun étant investi de la mémoire de ceux engloutis comme le rapelle la terre qui n'oublie jamais et régurgite toujours les cendres des bûchers et les restes des charniers.r |