L’exposition dans le très néo classique et marmoréen pavillon anglais, orné de colonnes et de balustrades, des oeuvres de Tracey Emin s’inscrit dans la tradition janusienne et ambigue de l’outre Manche où coexistent le british très collet monté et une fascination pour le mauvais goût.
En effet, choisie, dixit les officiels, pour sa manière non académique d’aborder les réalités universelles de la vie qui n’est, par ailleurs, pas exempte d’une certaine candeur, Tracey Emin a été affiliée au mouvement, originellement confidentiel, des Young British Artists - dont les mentors sont le très fameux galeriste Charles Saatchi et Jay Jopling, animateur de la White Cube Gallery, et le pape Damien Hirst - qui se sont fait connaître du public par des stratégies-actions très médiatiques.
Tracey Emin a acquis sa notoriété dans les années 90 par sa participation virulente et alcoolisée à une émission télévisée et l’exposition, très remarquée, à la Tate Gallery de Londres d’une installation intitulée "My bed".
Récompensée par le Prix Turner, ce qu’elle décrivait comme "a work of truth that illustrates themes of loss, sickness, fertility, copulation..." consistait à exposer son lit maculé de substances, corporelles et autres, et recouvert d’objets et détritus divers, dans l’état où il se trouvait après une semaine d’alitement forcé pendant lequel elle avait médité sur le suicide.
Travaillant sur différents supports, ces créations inscrites dans les arts visuels contemporains, utilisant tout ce qui lui tombait sous la main, elle pratiquait l’exhibition cathartique de sa vie dans ses aspects les plus violents ou éprouvants.
Fille spirituelle d’Annette Messager et d’Otto Muehl, Tracey Emin se révèle la petite soeur trash par alliance de Sophie Calle. Là où l’une pratique l’autofiction policée en exposant une vie rêvée sur le thème "le roman c’est la vie", l’autre dévoile des traumatismes réels et "la réalité dépasse la fiction".
Mais, en 2007, à Venise, l’exposition "Borrowed Light" de Tracey Emin, est introduite par un bucolique oiseau dans son nid en néon.
A côté de sculptures en bois considérés comme des totems délabrés et des transpositions en 3D de ses desseins, des œuvres figuratives, anciennes et récentes, très raisonnables, voire politiquement correctes, dont certaines presque puérils, des aquarelles gondolées sur papier d'écolier, même si les titres sont très explicites ("Asleep Alone With Legs Open ", "Masturbation").
Tracey Emin a-t-elle changé ? Andrea Rose, la commissaire de l’exposition, commente : "It's remarkably ladylike. …There is no ladette - no toilet with a poo in it - and actually it is very mature I think, quite lovely. ….What it shows is that she's moved a long way away from the YBAs. She's quite a lady actually!".
Très curieusement, 2007 marque le dixième anniversaire de la fameuse exposition qui révélait les Young British Artists à la Royal Academy of Arts et l’intronisation de Tracey Emin au sein de cette très conservatrice institution. |