Comme Arthur retirant Excalibur du rocher, c'est à son altesse Franz Ferdinand que l'on doit une large part du renouveau rock des années deux mille et zéro. Que l'on aime plus ou moins le quartet de Glasgow, qu'il soit dans le fond héros ou éclaireur de cette nouvelle armée du rock, quelles que soient les puissances occultes qui auront présidé à son avènement – rien n'y changera rien : avant que n'apparaisse sur la scène son étendard, et que ne s'y rallient moult formations nouvelles et vétérans revenus pour livrer une dernière bataille, on avait connu, et tout particulièrement en France, de bien tristes années.
On ne voyait plus beaucoup de Ray Ban Wayfarer ni de blouson de cuir à la radio.... Dance, musiques électroniques, chanson française plus ou moins surannée, hip hop, jazz, comme toujours renvoyé aux radios spécialistes, mais néanmoins bien vivant – la variété était bien là ; mais de rock, point. Mais je vous parle d'un temps que les moins de quinze ans n'ont pas vraiment connu, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Un temps où le rock se réduisait, à entendre les médias, à U2 et aux Rolling Stones, façon géronto-tuperware à faire marrer Johnny. C'était avant les jeans slim et le retour des franges.
C'est dans la veine de ce renouveau rock qu'il faut situer Editors. Un son rock un peu punk un peu froid, abreuvé du synthétisme d'années quatre-vingt qui auraient plus appartenu à Joy Division et à And also the trees qu'à Desireless et Madonna. Une belle voix grave, façon Interpol, qui chante dans ses aigus, façon White Lies.
Auteur d'un premier album indiscutable en 2005, The Black Room, le quartet a depuis prouvé sa capacité à durer (An end has a start en 2007, oscar du titre le plus joy disvisionien) et à se renouveller (In this light and on this evening en 2009, qui amorce un virage plus électronique – comme l'a d'ailleurs fait Franz Ferdinand avec son Tonight – tiens, tiens). Il a surtout conquis une étonnante audience, fédéré une armée de fan et forcé le respect de bien des observateurs.
Que l'on prenne l'ampleur de l'événement de leur venue au Grand Mix, notre salle de six cent cinquante places préférée : cent vingt places vendues en cinq minutes ; date annoncée complète cinq jours plus tard. Une inhabituelle folie que l'on doit notamment au public belge voisin, qui a l'habitude de voir Tom Smith et ses acolytes remplir des salles de plusieurs milliers de personnes et n'a pas laissé passer une occasion de le rencontrer en situation plus intime.
Intimité relative, donc, car la salle était bondée. C'est pourtant avec une chaleur tiède qu'ont été accueillies les deux premières parties de la soirée : les tous jeunes Airship et les très inattendus iLiKETRAiNS. Si les premiers jouent une musique électro-pop-rock enthousiastes et un brin futile, à laquelle l'adjectif "sucré" irait comme un gant, pour peu que l'on comprenne que les ingrédients n'en sont pas diététiques, les seconds s'étaient rendus coupables en 2007 d'un album d'une noirceur infinie, le très sérieux Elegies to lessons learnt et, en 2008, d'un EP instrumental qui n'aurait rien eu à envier à Mogwai : The Christmas Tree Ship.
Pour tout dire, ces deux disques font partie de ma discographie idéale. Imaginez : un Leonard Cohen (ancienne époque) en colère, dépressif et plus suicidaire qu'Ian Curtis, qui viendrait poser quelques lignes d'un chant meurtri sur des compositions d'Explosions in the Sky à l'occasion de l'anniversaire de quelque grand massacre historique. Amplement de quoi s'amuser les longues soirées d'hiver dans la banlieue d'une ville sibérienne, donc. De quoi, aussi, s'étonner de retrouver la formation en première partie de cette tournée des Editors. Mais la surprise ne s'est pas arrêtée là puisque c'est un set presque pop (toute proportion gardée) qu'a proposé le quartet.
Quid de la lenteur, de la densité, de la pesanteur, de la gravité, de la profondeur, de l'épaisseur ?!
Il faudra attendre la quatrième et dernier titre de cette prestation concise pour les retrouver, le temps d'une explosion délicieuse, qui arrachera finalement à la foule une exclamation admirative.
La formation amorcerait-elle un virage pop(ulaire) ? Cherche-t-elle à faire la couverture des magazines ? La réponse est espérée, avec un peu d'appréhension, pour cette année, avec la parution d'un nouvel album que le groupe espère "différent" – mais il est certain que Sea of regrets, le single qui l'a annoncé en octobre 2009, semble faire plus de place au chant et se rapprocher de structures plus classiques, à l'image de ce qui nous a été proposé sur scène. Qu'il est difficile, parfois, à négocier, le passage au deuxième album !
Quant aux Editors eux-mêmes, ils prouvent que leurs compositions n'ont pas besoin du renfort d'une industrie du spectacle mégalomane pour se tenir debout. Dans une salle à taille encore humaine, comme au contact direct du public, ils enchaînent le meilleur de leurs trois albums avec naturel et facilité, pour le plus grand délice de leurs fans, ravis.
On pourrait être tenté, sur la durée, d'objecter que tout cela tourne un peu en rond, explore les mêmes pistes, malgré le vernis de quelques touches électro supplémentaires, qui ne font en réalité que renforcer le côté new new wave originel. Mais les délices de titres imparables comme "Escape The Nest", "Racing Rats", "Munich", "Bullets" ou "Papillon", single du troisième album, suffisent à effacer toute critique sérieuse. Alors on ferme les yeux et l'on accepte de se laisser emporter dans la nuit des Editors, on se disant que c'est peut-être bien à un groupe comme celui là que pensait Joseph d'Anvers lorsqu'il écrivit le roman La nuit ne viendra jamais.
It kicks like a sleep twitch ! |