Drame
de Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène de Yvan
Garouel, avec Antoine Carillon, Renaud Castel, Hervé
Colombel, Lucien Czarnecki, Michel Dietz, Yvan Garouel, Pascal
Guignard, Laurence Le Dantec, Christine Melcer, Patricia Mesplié,
Isabelle Montoya, Syla de Rawski, Jean Tom, Catherine Van Hecke,
Sara Viot et Gérard Zimmer.
Cette saison, on a loué l' "Ivanov" monté
par Philippe Adrien à la Tempête, encensé
"La cerisaie" de Alain Françon à la
Colline. Et bien il faut maintenant se tourner vers un lieu
qui a moins pignon sur rue, le Théâtre du Nord-Ouest.
Co-fondateur de la Compagnie Théâtre
Vivant qui milite pour un théâtre d'incarnation
qui montre l'homme à l'homme, Yvan
Garouel a adapté et mis en scène "Ivanov"
qui s'avère une réussite absolue tant par la mise
en musique polyphonique de la partition tchekhovienne que par
le traitement psycho-analytique des personnages dans un espace
spatio-temporel indéterminé donc universel et
intemporel.
Ici point de décor naturaliste, point de langueur associée
à l'âme slave. Nous ne sommes pas dans la reconstitution
de la Russie fin de siècle, sur fond de steppes brumeuses,
de feux de cheminée dans les datchas cotonneuses ou de
transats dans lesquels des personnages en costumes peaufinés
ne sont déjà plus que leur propre ombre à
regarder les ondulations du lac ou la floraison des cerisiers.
Le théâtre pratiqué par Yvan Garouel est
un théâtre de nerfs, au bon sens du terme, dans
lequel le tragique existentiel et les passions, quelles qu'elles
soient, argent, jeu, amour, tourmentent des hommes de chair
et de sang, et ce, de manière d'autant plus exacerbée
et violente que l'environnement est délétère.
Au centre de ce maelstrom, Ivanov, anti héros romantique
contaminé par un quotidien déprimant dans une
société de compromission qui le révulse,
arrive à un moment de sa vie où s'imposent autant
sa banqueroute financière que la faillite de sa vie personnelle
et se débat dans une sorte de schizophrénie paralysante.
Loin de tout manichéisme, Yvan Garouel donne au rôle-titre
qu'il incarne toute l'ambivalence souhaitée entre pathétisme
et mesquinerie, violence et apathie: un homme tout simplement.
Comme on connaît l'économie de moyens qui préside
dans le Théâtre du Nord-Ouest, ce sont les comédiens
qui sont au centre du regard, qui jouent sans filets, sans décor,
avec simplement quelques accessoires et, en l'occurrence un
vrai travail de lumières de Anne Coutureau. Des comédiens
de qualité que Yvan Garouel a choisi de manière
judicieuse pour constituer une distribution solide pour l'accompagner
dans cette exploration toujours renouvelée de l'âme
et du cœur de l'homme.
Au plan de la mise en scène, il manifeste sa maîtrise
tant dans les scènes de groupe, les scènes d'intérieur
chez les Lebediev ou la scène de la collation de concombres
et harengs (Jean Tom excellent en
capitaliste, double sans état d'âme d'Ivanov, Michel
Dietz grandiose en mari soumis et père amène
et Antoine Carillon parfait en comte
bouffon), qui constituent des morceaux d'anthologie, que les
scènes intimistes qui s'avèrent d'une intensité
troublante avec deux jeunes comédiennes talentueuses,
Sara Viot et Isabelle
Montoya, dans les rôles respectifs de Anna, la
lyrique, et Sacha, figures mystiques et symétriques d'Eros
et Thanatos, qui montrent que les vrais héroïnes
de la pièce sont sans doute les femmes.
Complètent la distribution Pascal Guignard, très
convaincant en médecin à la fausse bonne conscience,
Renaud Castel, en joueur invétéré, Laurence
Le Dantec jeune veuve riche à la recherche d'un époux
titré, Christine Melcer, en femme d'argent, Catherine
Van Hecke, Hervé Colombel, Lucien Czarnecki, Syla de
Rawski et Patricia Mesplié pour les invités et
Gérard Zimmer, le serviteur. Tous doivent être
cités car, au diapason, ils contribuent indiscutablement
à la réussite de ce spectacle totalement indispensable. |