Brigitte Fossey et Marie
Adam sont actuellement à l'affiche de la maison de la Poésie
avec le spectacle "Cocteau, l'invisible vivant", montages
de textes auquel a grandement participé Brigitte Fossey et
dont elle a réalisé la mise en scène, "tissé"
comme elle dit avec sa fille. Elles ont accepté le principe
de cette interview à deux voix ce dont je les remercie encore
très vivement.
Une interview, éclairée et éclairante, qui
révèle le dur labeur qui a précédé
l'enfantement de ce petit chef d'oeuvre de grâce et d'intelligence,
en harmonie avec le style de Cocteau car il est léger à
la fois au sens de non-pesant, invisible, terme cher à Cocteau,
et aussi fin, élégant, aérien comme l’était
Cocteau.
Et puis, quel bonheur de rencontrer des comédiennes, des
femmes lumineuses !
Quels sont les critères qui ont présidé
au choix des textes ou extraits de textes que vous avez retenus
pour le spectacle ?
Brigitte Fossey : Monique Bourdin a fait un montage
de textes qu’elle m’a fait parvenir au mois de mai 2003
parce que le 13 juin elle voulait fêter le 40ème anniversaire
de la mort de Cocteau à Vendôme avec son association
Les amis du pays natal de Ronsard . Et comme Jean Cocteau, sur les
conseils de Radiguet avait revisité Ronsard et écrit
beaucoup de poèmes inspirés par Ronsard, ils entendaient
honorer Cocteau.
Par ailleurs, elle est la grande spécialiste de Cocteau.
Elle s’est occupée de la publication des poèmes
de Cocteau à La Pléiade et elle a fait sa thèse
sur Cocteau le poète de l’invisibilité. Elle
a voué sa vie à l’enseignement littéraire
à Vendôme et elle a enseigné également
le théâtre et la poésie à ses élèves
et les emmenait voir Jean Marais au théâtre qui lui
parlait de Jean Cocteau.
Ce montage comportait énormément de poèmes
et elle m’a dit : "Je voudrais que vous les jouiez"
…
Marie Adam :..." Que vous les lisiez" au
départ. Elle voulait une lecture au départ….
Brigitte Fossey : …que vous les jouiez à
Vendôme dans une salle du 16ème siècle en face
de l’église qui est une ancienne grange, un endroit
somptueux de concerts, de lectures où se déroulent
de nombreux évènements culturels.
Je commence à lire ce montage de textes et je me dis que
lire cela toute seule va ennuyer les gens et puis Cocteau pour moi
c’est vivant, ça ne peut pas être un monologue,
une lecture poétique entre guillemets. Ça doit être
vivant.
Alors je lui fais part de mes scrupules en lui disant que c’est
très ennuyeux de lire cela toute seule, de passer d’un
poème à un autre, d’une oeuvre à l’autre,
d’une couleur poétique à une couleur de prose,
une couleur de théâtre sans qu’il y ait 2 personnes.
Il faut absolument que cela soit de la dramaturgie. Je veux bien
faire cela mais avec une autre comédienne ou un autre comédien.
Laissez-moi réfléchir.
Pendant un mois, je réfléchis : Cocteau c’est
le thème du double, je vais demander à ma fille de
jouer le deuxième personnage et j’ai rajouté
énormément de textes avec l’accord de Monique
:"Les enfants terribles", "La machine infernale"
(Œdipe et le sphinx), "Orphée et Eurydice"
(la scène de ménage) à propos de l’écriture
ou de la non-écriture et "La Belle et la Bête"
parce que je rêvais de jouer cette pièce avec Marie.
Parce que Marie est la Belle par excellence et moi j’aime
les masques, j’aime me cacher, j’aime les compositions,
donc c’était l’occasion rêvée.
Et puis j’ai participé à la dramaturgie du montage
des textes de Monique en répartissant de façon dramaturgique
et théâtrale les poèmes à deux voix.
Nous avons collaboré et j’ai tout fait avec elle. Elle
a apporté une matière somptueuse, 50-55 minutes, et
nous en sommes à 1 h 15 et j’ai déplacé
certains textes. Par exemple, le texte sur le théâtre,
je l’ai mis au début parce que je trouvais qu’il
ouvrait bien le spectacle, puis j’ai rajouté le prologue,
avec sa permission parce que je trouvais que la difficulté
d’être permettait de présenter le personnage
Cocteau avant de faire un spectacle proprement dit. Comme j’aime
beaucoup les lectures, la première partie est une lecture,
la deuxième partie un spectacle.
Mais il y a toute une histoire dans tout cela. Marie avait raison
de dire qu’au départ je voulais que ce soit une lecture.
En fait, j’avais une idée derrière la tête.
Je lui ai dis que c’était une lecture mais je voulais
lui faire la surprise que ce soit un spectacle. Donc je lui ai demandé
son accord sur la lecture et la suite c’est Marie qui va la
raconter.
Marie Adam : En fait, j’ai commencé à
lire les textes avec maman et je me disais Ah, c’est vachement
difficile ! Comment faire pour rendre vivants ces textes-là.
On commençait à lire, je ne comprenais pas la moitié
de ce que je lisais au départ. Pour certains textes je ne
comprenais pas de quoi il s’agissait. Notamment pour les textes
poétiques. C’était très très difficile
pour moi. Je les trouvais jolis, il y avait une jolie musique …
Brigitte Fossey : Tu exagères…
Marie Adam : Non, c’est la vérité.
Il y avait des choses que je ne comprenais pas. Maman me disait
de ne pas m’inquiéter. Elle disait Tiens, on va essayer,
tu lis cela et moi cela. Nous lisions phrase par phrase. Puis, tiens
non finalement on va changer. Nous intervertissions les phrases
et elle est parvenue, et c’est son travail, à découper
les textes de manière à ce que les phrases se répondent
comme s’il s’agissait de Cocteau et son double.
Brigitte Fossey : Et paradoxalement cela a rendu les
choses plus lisibles, plus compréhensibles et plus théâtrales.
Marie Adam : Alors qu’au départ si vous
lisez ces textes sur papier…
Brigitte Fossey : Pas tous, il y en a de très
accessibles…
Marie Adam : Pas tous...
Brigitte Fossey : " Le menteur" par exemple...
Marie Adam : Oui mais certains sont plus difficiles
Brigitte Fossey : Beaucoup sont très faciles
d’accès, très populaires et très dramaturgiques
comme "La Belle et la Bête", "Œdipe et
le Sphinx"…
Marie Adam : Je parle de la première mouture…
Brigitte Fossey : Au départ, il y avait aussi
des textes très accessibles comme celui où Cocteau
parle de sa mère qui va au théâtre…
Marie Adam : Bien sûr
Brigitte Fossey : Le texte du menteur…Il y avait
3-4 passages un peu plus ésotériques…
Marie Adam : Très obscurs pour moi
Brigitte Fossey : …comme "l’ange
Heurtebise" et puis tous les poèmes de la fin sur le
passage entre le poète et son âme, le poète
et son œuvre, le poète et sa présence telle qu’elle
sera lorsqu’il ne sera plus là.
Car Cocteau était obsédé par l’image
et l’œuvre qui resteraient une fois qu’il serait
parti. On a l’impression qu’il a mis toute sa vie au
service de ce testament. Et sa vie est le testament de son testament.
C’est extraordinaire à ce point là. Et cela
me rappelle beaucoup le film de François Truffaut qui aimait
beaucoup Cocteau et qui a fait un film sur un homme qui collectionnait
les morts, ses amis morts et construit une chapelle ardente et de
cette façon-là les fait survivre. La chambre verte
avec Nathalie Baye.
D’une certaine façon, on a l’impression que Cocteau
a vécu toute sa vie pour que la chandelle de son existence
continue à brûler aujourd’hui à travers
son œuvre. Et à la lumière de cette compréhension,
il devient très facile de pénétrer son œuvre
poétique.
Il y a une métaphysique de l’enfance. L’enfant
de cinq ans est obsédé par la mort : "Qu’est-ce
qu’il y a eu avant moi ?" "Qu’est-ce qu’il
y aura après moi ?" Mais c’est une métaphysique
joyeuse car au moment de mourir à son fils adoptif Edouard
Dermit au lieu de dire : "Ah mon Dieu c’est affreux,
je pars !" Il a dit : "Je reste avec vous". Et "Ah
! Je vais enfin savoir ce qu’il y a de l’autre côté
du miroir !" . Pour lui, la mort c’est un miroir que
l’on traverse comme Alice au pays des merveilles.
Au cours des répétitions, avez-vous
procédé à des restructurations du spectacle
en termes de nombre de textes et de coordination des textes ?
Brigitte Fossey : Oui. Nous avons ôté
un ou deux textes, nous avons déplacé des phrases
de manière à créer un fil cohérent et
dramaturgique. Il y a quand même une action, un fil tendu
comme une espèce de cheminement de Cocteau à travers
la logique des rêves. C’est Robert Fortune qui m’a
appris cela. C’est ainsi qu’il avait tissé le
montage de Jacques Prévert avec Catherine Arditi et moi-même.
Il y avait des enchaînements qui correspondaient à
un fil logique mais logique comme dans les rêves. Beaucoup
de gens me disent sortir du spectacle comme s’ils sortaient
d’un rêve. Or, au sortir d’un rêve, on n’interroge
pas la cohérence des choses, tout est normal bien qu’il
y ait des choses un peu bizarres.
Le cadrage est-il intervenu très rapidement
ou au terme d’un long travail de répétitions
et de modulation ?
Brigitte Fossey : C’était un très
long travail. Jour et nuit je reprenais le travail que Marie m’apportait.
Je me disais : "Elle sera plus à l’aise je ne
le sens pas trop bien qu’elle dise cela. Je vais lui donner
une autre phrase". On essayait l’autre phrase et puis
finalement j’entendais soit que cela n’allait pas et
nous reprenions avec la phrase originelle ou au contraire j’entendais
qu’elle avait raison et que cette autre phrase lui convenait
mieux.
Et très curieusement les textes qui nous ont paru les plus
difficiles au début sont ceux qui nous sont le plus simple
aujourd’hui. Quelquefois les textes nous ont paru très
obscurs et maintenant que nous les avons mis en scène et
joués ensemble ça nous paraît parfaitement logique.
Ainsi, au début, "l’ange Heurtebise" je ne
savais pas par quel bout le prendre. Maintenant que nous sommes
partagées le texte, que nous avons chacune notre rôle,
nous jouons une chose extrêmement précise dont nous
ne nous sommes jamais vraiment parlé mais qui est très
précise et très claire pour nous, uniquement de façon
allusive mais d’une précision extraordinaire chaque
soir. Alors que nous n’en avons pas parlé.
Mais le fait d’avoir distribué les deux textes, ça
a rendu nos deux rôles possibles. Cela Robert Fortune me l’a
appris et je tiens vraiment à lui rendre hommage. En tant
que metteur en scène, il m’a appris beaucoup de choses.
Il m’a appris qu’il n’était pas toujours
nécessaire d’exprimer les choses sur lesquelles on
travaille, de les formuler ou de les définir. A partir du
moment où l’on sent qu’il y a quelque chose à
l’œuvre, ce n’est pas la peine d’en parler.
Il ne faut parler que des choses qui sont absentes, pour les faire
venir. Il ne faut pas déflorer.
Avez-vous songé immédiatement à
votre fille ?
Brigitte Fossey : Immédiatement.
Il n’était donc pas envisageable de
jouer Cocteau avec quelqu’un d’autre ?
Brigitte Fossey : J’ai d’abord envisagé
de jouer à nouveau avec Catherine Arditi avec qui j’ai
l’habitude de travailler. Et puis, je me suis dit que ce n’était
pas son univers. Cocteau ne correspondait pas tellement à
ce qui se dégageait d’elle car elle est beaucoup plus
concrète et plus incarnée et puis en même temps
je voulais quelqu’un qui avait de l’humour et le sens
des ruptures, qui était très incarnée et simultanément
très aérienne.
Et parmi les comédiennes que je connais il n’y a guère
que Marie qui ait cette faculté d’être à
la fois par moment très incarnée et très aérienne.
Elle a les deux. Elle a le côté très femme,
très charnelle et le côté aérien d’Ariel
dans la tempête de Shakespeare.
Blanc (NDLR : après ces mots témoignages d’amour
et d’admiration pour Marie, un ange passe.)
Brigitte Fossey : Elle a le côté des
femmes de Rembrandt, de Saskia la femme de Rembrandt, mais elle
a aussi le côté fine gravure de Durer ou de Cranach.
Elle a les deux. Elle est comme ça.
C’est atavique alors ?
Brigitte Fossey : Je ne suis pas sûre que ce
soit atavique. Je pense qu’il y a eu aussi un enrichissement
personnel, une réflexion sur la vie qui lui est propre et
c’est le complément de sa nature par rapport à
un reçu.
Etait-il envisageable de refuser cette proposition
?
Marie Adam : Oh non ! C’est un trop beau cadeau
!
Brigitte Fossey : Elle l’a envisagé à
un moment donné. Au départ, elle n’était
pas emballée du tout par une lecture de textes poétiques
avec maman.
Marie Adam : Je pensais que cela ne durerait que 3
jours au départ.
Brigitte Fossey : Ce n’est pas seulement cela.
Tu as lu les poèmes et tu t’es dit que ce n’était
qu’une lecture de poèmes point-barre. Mais moi tout
de suite j’ai vu le spectacle derrière tout cela. Je
l’ai vu et je me suis dit avec cela on peut faire un spectacle
aussi dramaturgique que les "Paroles" de Prévert.
Cela m’est apparu. Clair. Qu’il fallait construire une
dramaturgie et que Cocteau le permettait parce que justement c’est
un auteur de théâtre. Et ce n’est pas un hasard
s’il en a été de même avec Jacques Prévert
car il a écrit des scénarii, des pièces de
théâtre et des choses avec son frère Pierre.
Marie Adam : Je dois avouer qu’elle m’a
bluffé parce que j’ai beaucoup joué au théâtre,
des pièces, et quand je lisais les poèmes, je n’arrivais
pas à imaginer comment on pouvait le transposer au théâtre.
Brigitte Fossey : Mais c’est du théâtre,
non ?
Marie Adam : Tout le travail réside dans le
découpage, le travail de fourmi qu’elle faisait jour
et nuit. Moi je devenais folle aussi…
Brigitte Fossey : Très dur...
Marie Adam : …parce que chaque jour je jouais
des choses différentes. Je commençais à travailler
quelque chose et le lendemain tout changeait. Et cela a duré
pratiquement jusqu’à quinze jours avant la première.
Nous connaissons donc chacune le texte de l’autre. Mais j’ai
cru que je n’y arriverais jamais. Que nous n’y arriverions
pas. Et c’était dur pour elle parce que je lui disais
Mais maman arrête de changer…
Brigitte Fossey : Je savais que nous y arriverions…
Marie Adam : Elle savait mais moi j’avais l’impression
du contraire.
Brigitte Fossey : Elle pensait que je cherchais à
l’aveugle. En fait, je ne cherchais pas à l’aveugle
en lisant la nuit les textes de Cocteau, d’autres poèmes
qui m’éclairaient sur ceux là.
Mon professeur d’art dramatique Andréas Voutsinas dit
toujours si vous voulez comprendre votre personnage dans une pièce,
lisez tous les autres car ils parlent de votre personnage. Pour
un auteur, il en va de même. Si vous voulez comprendre le
texte d’un auteur, lisez tous ses autres textes car ils éclairent
celui sur lequel vous travaillez. Donc toutes les nuits je lisais
Cocteau. Et j’avais la solution le lendemain au réveil.
Cela venait tout seul. La nuit, je me réveillais vers 3 heures
du matin, je lisais jusqu’à 4-5 heures, je me rendormais.
Au réveil j’avais la solution et je disais à
Marie "Tu avais raison dans ce que tu m’as dit".
Et puis tout d’un coup je me suis demandé : "Cocteau
c’est quoi ? C’est quoi pour moi ? Mon Cocteau d’enfance
à moi, c’est quoi ?" Mon Cocteau d’enfance
c’est la Belle et la Bête que j’ai entendu projeté
à Tourcoing, derrière une fente, debout. Parce que
moi aussi j’écoutais debout derrière la porte
quand j’étais petite, je ne te l’avais jamais
dit. Toutes les nuits Marie écoutait debout derrière
la porte les conversations. Mais moi aussi et son fils fait la même
chose. Et j’ai entendu la Belle et la Bête dans un trou
de serrure, la voix de Jean Marais, la voix de la Bête que
je fais tous les soirs et que j’avais entendu à cinq
ans, avant même d’aller au cinéma. C’est
mon Cocteau à moi.
Mon deuxième Cocteau à moi, c’est que la première
fois que j’ai vu "La Belle et la Bête" à
la cinémathèque, j’avais seize ans. J’ai
dû y aller avec ma classe de français. Et bien je me
souviens que d’une seule chose c’est la scène
dans les draps. Les draps qui pendent avec le vent, le cache-cache
dans les draps. Je me suis dit Nous n’avons pas d’argent.
Nous sommes dans de beaux draps. Si on a des draps on a tout Cocteau.
Et à partir des draps, tout le spectacle m’est venu
: l’apparition de l’ange, l’apparition de la mère.
Je me suis dit : on va mettre des draps partout et on va s’habiller
avec des draps. Nous n’avions pas de costumes.
.Ensuite, a posteriori, j’ai lu que Cocteau avait fait la
même chose dans des pièces, dans des spectacles où
il n’y avait pas d’argent, il avait donné des
draps comme costumes pour les acteurs. Donc j’étais
heureuse car je vérifiais que mes intuitions étaient
justes. Ça s’est fait ainsi comme s’il m’avait
guidé avec son étoile. Je ne vous raconte pas d’histoire,
c’est vrai.
Donc un très long travail de mise au point
et de répétitions ?
Brigitte Fossey : Oui, un mois et demi, tous les matins.
Marie venait vers 9 heures et demie jusqu’à 14 heures…
Marie Adam : Même plus que ça, parce
que l’on a retravaillé encore ensuite…
Brigitte Fossey : Oui, nous avons retravaillé
encore un mois et demi avant de recréer ici à la Maison
de la Poésie pour faire un spectacle d’une heure dix
une heure et quart et, si Dieu veut, si nous le reprenons, on rajoutera
encore des Clowneries. Cocteau aimait beaucoup le cirque. Comme
j’ai la chance de recevoir les bulletins réguliers
des Amis de Jean Cocteau, j’ai reçu celui sur le cirque,
sur son amour des clowns et j’ai appris qu’il avait
monté "Le bœuf sur le toit" un numéro
de clown avec Annie Fratellini et avec un autre clown sur la musique
de Milhaud qui durait 45 minutes. Donc moi je trouve que si on fait
5 minutes de clownerie ce n’est pas beaucoup. Puisque Cocteau
lui-même a consacré tout un spectacle aux clowneries
sur la musique de Milhaud, celle sur laquelle on danse à
la fin du spectacle l’Invisible vivant.
Donc je voudrais rajouter des clowneries parce que j’ai des
points communs avec Jean Cocteau. J’aime les clowns, j’aime
Charlie Chaplin, j’aime Picasso et je suis fan des autres.
Donc comme nous sommes de la même époque, parce que
je suis né en 1946 et qu’en 1951 Cocteau était
à son apogée. En 1946, l’année de ma
naissance, il réalisait la Belle et la Bête. C’est
formidable non ?
Je suis née l’année de la Belle et la Bête
et des Temps modernes de Chaplin. Je voudrais que cela se voit dans
le spectacle. Je voudrais rajouter un peu de tauromachie aussi.
Un peu de tango, il adorait Django Reinhardt. Un peu de Django Reinhardt,
cette musique qui boxe l’âme comme disait Cocteau.
Avez-vous l’intention de vous orienter vers
la mise en scène ?
Brigitte Fossey : Comment dirais-je ? Ce n’est
pas moi qui choisit. C’est la vie qui me choisit. On est venu
me chercher et j’ai dit oui. On est venu me chercher à
plusieurs reprises pour des montages de textes poétiques
un peu mis en scène. Cela fait la 7ème fois que je
dis oui, où je me mêle de la mis en scène à
chaque fois. Donc je me suis un peu entraînée déjà.
Mais moi je crois beaucoup que l’on doit venir me chercher.
Mais pendant que j’attends, je dois me préparer. Donc
je me prépare parce que je dois être prête quand
on vient me chercher. Je travaille comme une étudiante, chaque
jour, sur des textes. J’ai une valise pleine de projets.
Justement quels sont vos projets ?
Brigitte Fossey :J’ai beaucoup de projets. Beaucoup.
J’ai des choses en friche, j’ai des chantiers à
l’œuvre, des idées de spectacles. 5-6 c’est
pas mal. Que je garde secrets. Qui attendent qu’on vienne
me chercher. Parce que quand nous avons fait Vendôme avec
Marie, nous devions jouer une fois. Quelques jours après
je suis à Ramatuelle, Jean Claude Brialy débarque
pour préparer sa saison et me demande : "Tu n’aurais
pas un petit spectacle pour Angers ? Bernard Giraudeau vient de
se désister. C’est 5 jours à Saumur". J’ai
dit : "Oui. On vient de créer un Cocteau avec Marie".
Nous avons joué au théâtre Bouvet-Ladubay de
Patrice Monmousseau et Jean-Maurice Bellaïche. C’est
un petit théâtre qui a été crée
au 19ème siècle pour son personnel par le propriétaire
des vins Bouvet-Ladubay qui est en ordre de marche pour le festival
d’Angers. Comme il n’y avait pas de décor, Jean-Maurice
Bellaïche étant venu à Vendôme voir la
création, il a été chercher tous les draps
de l’hôtel Le Prieuré à Florent Saint
Hilaire, 450 draps pour recréer les pendrillons blancs. Il
a fait construire un petit balcon, des paravents.
Comme on reprenait le spectacle, nous avons allongé le spectacle
une première fois. Nous avons rajouté le prologue
qui est la difficulté d’être qui durait 20 minutes.
Actuellement, on l’a réduit à 10. Et lors de
la reprise à la Maison de la Poésie, nous avons rajouté
20 minutes. J’espère rajouter encore 5 à 10
minutes si on le reprend.
Alors à ce propos, y a-t-il des reprises
prévues à Paris ou en province ?
Brigitte Fossey : Il y a quelques graines de sollicitations
pour le moment dont on ne peut parler mais qui vont se concrétiser
dans les 15 jours à venir.
Et vous désirez prolonger ce spectacle ?
Vous oui, puisque vous avez déjà des idées
pour le compléter. Mais vous Marie ?
Marie Adam : Oui, bien sûr. C’est une
belle aventure.
Brigitte Fossey : C’est formidable de vivre
un spectacle avec Marie parce que nous l’avons tissé
ensemble, nous avons eu des idées ensemble. Elle a grandement
participé à la construction du spectacle et elle a
un instinct très sûr. Elle sent quand cela ne va pas.
Donc quand cela ne va pas, je n’insiste pas. Très souvent,
elle suggérait des solutions. Quand j’étais
en panne je lui demandais si elle avait une idée. Et elle
m’aidait mais avec beaucoup de discrétion.
Mais ce qui est passionnant, c’est maintenant que le spectacle
commence à vivre, à prendre sa respiration propre.
Il nous échappe quelque part et ça c’est bien.
Je voudrais un peu revenir sur la difficulté
d’assurer la mise en scène tout en étant sur
scène.
Brigitte Fossey : Oui. Marie doit répondre
car elle a été héroïque. Marie, tu peux
dire très sincèrement combien c’était
dur.
Marie Adam : C’est vrai que c’est dur
de jouer sans assistant. J’aurais aimé avoir un regard
extérieur, un assistant qui prenne sa place pour qu’elle
puisse regarder de l’extérieur, que quand elle joue
avec moi elle joue avec moi et que quand elle fait la mise en scène,
elle fasse la mise en scène. Je ne sais pas comment elle
y arrivait. Elle a un don d’ubiquité, elle peut se
dédoubler et donc elle parvient à diriger tout en
jouant. Mais pour moi, cela n’était pas toujours évident.
Vous ne connaissiez pas particulièrement
l’œuvre de Cocteau ?
Marie Adam : J’ai joué les parents terribles
de Cocteau il y a 8 ans avec Daniel Gélin et Danièle
Delorme. Mais je ne connaissais que son théâtre hyper-académique
et le personnage un peu fanfaron. Mais pas le côté
difficulté d’être, tout cela que je trouve magnifique.
Brigitte Fossey : Son théâtre n’est
pas académique.
Marie Adam : Je connaissais les parents terribles,
l’aigle à deux têtes. La machine infernale je
ne la connaissais pas.
Brigitte Fossey : En fait, tu connaissais les pièces
les plus connues, son image la plus connue. Elle a voulu tout lire.
Nous avons lu ensemble Claude Arnaud et là elle a découvert
comme moi un personnage totalement méconnu, d’une intensité,
d’un courage intellectuel et puis aussi un chercheur de textes,
un chercheur de mots, c’est-à-dire quelqu’un
qui attendait d’être véritablement inspiré
mais qui travaillait : "Avez- vous déjà entendu
ce travail du rossignol d’avril ? Il peine, il hésite,
il racle, il s’étrangle, il s’élance,
il retombe. Et soudain il trouve".
Pour arriver à ce soudain il trouve, Cocteau peine, hésite,
racle ; ce n’est pas si simple d’accéder à
la simplicité. Il faut avoir pris tous les détours
avant. Pour moi, Cocteau est celui qui va dans le labyrinthe, qui
s’y perd. A un moment donné, il tombe dans un trou
et au fond du trou, il trouve le ciel. Il accepte tous les rets,
toutes les complexités, toutes les souffrances physiques,
physiologiques de l’angoisse de la création et au moment
où il va renoncer, il tombe dans un trou qui n’est
pas un trou mais le ciel. Il s’envole.
Une dernière question, je ne sais pas si
vous accepterez d’y répondre…
Brigitte Fossey : Les questions ne sont jamais indiscrètes,
seules les réponses le sont. Donc on n’est jamais obligé
de répondre.
A la question du questionnaire de Proust "Qu’avez-vous
réussi de mieux dans votre vie ?" vous avez répondu
: A grandir, à évoluer. Le théâtre vous
a-t-il aidé à grandir et à évoluer ?
Brigitte Fossey : 4 choses m’ont aidé
à évoluer et à grandir. La première,
c’est ma fille, le fait d’avoir eu un enfant et cet
enfant-là. La deuxième, ce sont les rencontres. La
troisième c’est le théâtre…
Le magnétophone s’interrompt à ce moment. Un
signe. J’aime aussi les signes. La quatrième chose
sera dite en aparté.
Cependant, alors que Marie Adam part se reposer et se préparer
pour le représentation du soir, Brigitte Fossey m'accorde
encore quelques instants. Nous parlons encore et encore de Cocteau.
Cela amène d'autres questions, bien évidemment. Je
vous livre ces quelques réponses enregistrées avec
l'accord de Brigitte Fossey.
Cocteau est un de vos auteurs favoris ?
Brigitte Fossey : Je viens de faire sa connaissance.
C’est-à-dire que je connaissais Les enfants terribles,
Le grand écart, je connaissais quelques poèmes mais
je ne connaissais pas Requiem, Crucifixion, le Potomak, Opium, toutes
ces œuvres magnifiques. La machine infernale, je l’avais
lue il y a très longtemps mais je l’ai relue et je
trouve cela tout à fait admirable, une somme. Orphée,
c’est superbe. Le testament d’Orphée également,
le Sang d’un poète…C’est très varié.
Au fur et à mesure de son existence, il a changé de
veine, de préoccupation. La biographie de Claude Arnaud m’a
passionnée, je n’en ai d’ailleurs pas encore
achevé la lecture. C’est très exhaustif de toute
cette exaltation qu’avait Cocteau, de ses recherches, de ses
angoisses, de son côté caméléon et de
toutes les écritures qu’il a explorées aux côtés
des autres artistes.
Œdipe et le sphinx est un des excellents moments
du spectacle. Quelle est la réaction du public ?
Brigitte Fossey : C’est grâce à
ma fille car elle ne voulait pas que je joue Œdipe mais le
sphinx car elle pensait que c’était bon pour moi d’avoir
un très long monologue car je n’en avais encore jamais
fait. Elle me disait : "Tu dois t’y confronter".
Et vous voyez, quelquefois, le maître c’est elle. Je
pense comme les boudhistes qu’on suit un enfant mais que c’est
l’enfant qui est votre maître. Et c’est la même
chose dans le théâtre. Andréas Voutsinas disait
toujours : "Très important de côtoyer des gens
qui n’ont pas la même expérience que vous. Des
gens qui ont la même expérience, c’est bien mais
aussi ceux qui ont moins d’expérience et ceux qui en
ont plus parce que les points de vue varient et peuvent encourager
de progresser".
En ce qui concerne le public, je n’ai pas une perception particulièrement
définissable ou définissante du public. Pour moi le
public n’existe pas c’est une série d’individus
qui sont tous différents les uns des autres. Surtout à
la Maison de la Poésie, nous avons des gens de toutes les
générations, des étudiants, des enfants. Je
ne comprends pas tellement bien pourquoi on généralise
le mot public ; on devrait dire les gens qui sont là ce soir
et qui réunis forment un public. Là on serait déjà
plus précis.
Je sais que j’ai conçu ce spectacle pour rendre les
gens heureux parce que j’avais le sentiment que c’était
également le souci de Jean Cocteau. Et je l’ai conçu
pour rendre hommage à Cocteau, donner envie de lire Cocteau,
d’aller chercher plus loin et pour avoir la joie de jouer
avec ma fille. Donc ce plaisir que j’ai de jouer avec elle
doit se ressentir probablement parce que les gens m’en parlent.
Ils sortent en général heureux et c’est mon
but.
Car je pense que l’on peut parler de choses tragiques tout
en étant par moments heureux car le tragique pour moi c’est
la non-communication. Le tragique ce n’est pas la mort. Le
tragique c’est de ne pas arriver à communiquer pendant
sa vie. Evidemment, la mort c’est tragique, la mort des gens
qui vous quittent c’est tragique, le fait que l’on doive
mourir c’est tragique.
Mais le vrai tragique c’est ce que disait Kierkegaard : "la
contradiction qui souffre". C’est la contradiction qui
ne peut pas s’exprimer, c’est la contradiction qui ne
peut pas devenir synthèse, c’est kafkaïen, c’est
l’isolement, c’est le fait que la vie n’ait pas
de sens. Je crois que l’une des raisons pour laquelle Cocteau
communiquait tout le temps sa joie de vivre à ses amis, c’est
justement parce qu’il savait que la vraie joie c’est
l’amitié, c’est de partager, d’être
fidèle, de recevoir, de transmettre, de donner. Donc pour
moi le tragique de Cocteau inclut une cocasserie, un burlesque,
une générosité chaplinesque, cocasse à
la Picasso.
Il y a quelque chose de très sérieux chez Cocteau,
une très grande rigueur intérieure, une quête
spirituelle, mais il rend à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il ne confond
pas la prose et la poésie, il ne confond pas les romans et
le théâtre. Il y a plusieurs degrés et ça
c’est très intéressant. C’est un peu l’écrivain
de l’échelle.
Pas de coupure d'enregistrement mais la courtoisie de laisser,
à Brigitte Fossey le temps d'une pause avant la représentation
du soir.
En espérant la revoir... |