Par son titre, "Journal d'un écrivain en pyjama" annonce un opus ressortissant au genre de la littérarisation autobiographique.
Mais en réalité, cet opus de l'écrivain haïtien établi au Canada Dany Lafferrière se présente comme la compilation en pêle-mêle par voie de recyclage de notes diverses et variées dont il abreuve des carnets, carnets qu'il considère comme un des outils essentiels de l'écrivain.
Réunies sous le prétexte allégué de "donner quelques conseils à mon neveu qui voudrait devenir un écrivain sans trop souffrir", elles sont érigées par l'auteur en "petit manuel" pour écrivain débutant, celui-ci indiquant simultanément, paradoxe ou contradiction récurrente dont il paraît coutumier, son inutilité ("Il ne vous servir à rien si vous avez du talent, et il ne fera que vous retenir inutilement si vous n'en avez pas") et sa vacuité ("En fait, personne ne peut vous apprendre à écrire").
Ainsi, fort de 182 articles numérotés, cet opus, dont le titre initialement envisagé, "Notes à un écrivain en pyjama", s'avérait plus adéquat, se veut vademecum et contient donc les conseils avisés d'un vieux de la vieille de la plume - Dany Laferrière a publié son premier roman en 1985 - dispensés dans le style d'un conférencier vulgarisateur parfois condescendant et
sous forme de directives rédactionnelles de l'ordre de celle qui président à l'exercice scolaire de la rédaction ("comment utiliser les idées", "n'abusez pas des dialogues", "éviter les longues descriptions"...).
S'il existait une recette en la matière, cela se saurait et la prolifération des ateliers d'écriture institués en cursus universitaire dirigé par des "professeurs d'écriture" n'a pour effet que de concourir au formatage scriptural et à l'explosion d'"oeuvres" portant la signature de "Monsieur Jourdain" de la littérature.
Disséminés en "coq à l'âne" au fil des pages, le lecteur trouvera également la relation d'anecdotes personnelles, des souvenirs d'enfance caribéenne à sa vocation d'écrivain émigré ("Je tentais d'écrire un roman afin de sortir du cycle infernal des petits boulots dans des manufactures") en passant par ses astuces pour trouver des sponsors involontaires en cas de difficultés financières ("J'ai donc réduit au minimum mes dépenses et entrepris de séduire la fille du propriétaire de l'immeuble où je créchais pour ne pas payer de loyer" puis la caissière d'une épicerie qui lui octroyait de conséquents rabais).
Ainsi que des confidences palpitantes ("J'écris mieux quand il pleut"), des poncifs sur l'écriture, l'écrivain et la littérature ("On naît écrivain. A mon avis ce n'est pas un métier", "Tout récit est forcément autobiographique même quand l'histoire semble loin de notre vie personnelle"...), sa conception de la littérature qui est une question d'instinct et de talent mais qui n'interdit pas le "bon usage du plagiat" et la vampirisation des maîtres, l'illustration de son omniscience littéraire par maintes citations d'auteurs de tous temps et de tous pays et des analyses sentencieuses telle celle sur le dialogue américain face au monologue français.
Enfin, last but not least, se laissant aller au travers qu'il dénonce par ailleurs chez ses homologues, il donne son avis sur tout et rien, l'argent, le lecteur, le temps, les animaux, le vaudou, et autres, l'ensemble avec une propension complaisante à user des bons mots et des aphorismes conclusifs, et souvent anachroniques,
qu'il compare au "fortune cookie", ce petit gâteau chinois dans laquelle est inséré une prédiction ou une maxime humoristique.
Ce "journal" passionnera sans doute les exégètes de l'auteur et les écrivains en herbe qui croient encore en la vertu de l'expérience d'autrui. Pour dédouaner ceux que sa lecture ennuirait, il est judicieux d'appliquer un postulat "laferrièrien" : "Il y aura de mauvais livres tant qu'il y aura de mauvais lecteurs". Et vice Versailles comme dirait Bérurier.
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