Réalisé par Joann Sfar. France/Belgique. Thriller. 1h33 (Sortie le 5 août 2015). Avec Freya Mavor, Benjamin Biolay, Elio Germano et Stacy Martin.
Signé par Sébastien Japrisot, scénariste et romancier qui a largement contribué au cinéma des années 1960-1970, "La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil" s'inscrit dans le genre du roman policier.
Non le polar standard, mais dans la catégorie récit d'énigme, un "roman-problème", dont la quatrième de couverture lors de sa parution en 1966 - "Rechercher désespérément un assassin pour découvrir que c'est soi-même et tenter d'en réchapper quand on est également la victime, ce n'est pas possible" - rendait compte de la complexité de l'intrigue à laquelle s'ajoutait celle de la construction narrative.
En effet, sur les thèmes du bouc-émissaire et du grain de sable, le premier constituant le second, et imbriquant enquête et quête identitaire, il y brasse les thématiques du double, de la binarité érigée en postulat (bien/mal, vérité/mensonge, rêve/réalité, fantasme/névrose...) et celle du labyrinthe déclinée en road-movie cauchemardesque dans un enchaînement d'énigmes conduisant vers un tragique renversement de perspective.
Une jeune dactylo "emprunte" la voiture de son patron pour aller voir la mer et en chemin, lors d'une première halte, est reconnue comme la dame qui a oublié son manteau la veille. Ce qui augure d'un périple qui va brouiller tous les repères, altérer les frontières du monde tangible, et, paranoïa oblige, la mener sur la voie de la dépersonnalisation d'autant plus fortement ressentie que la "dame", à la personnalité schizoïde, souffre tant de confusion mentale que de troubles mnésiques et identitaires.
Joann Sfar déjoue, ou contourne selon le jugement du spectateur, cette complexité en optant pour une transposition filmique qui ressort au Comic Strip gainsbourgien traité à la manière d'un psychédélique kaléidoscope lynchien qui si elle a dû faire le bonheur du chef chef opérateur Manu Dacosse et les délices du chef monteur, Christophe Pinel.
Son centre d'intérêt ne tenant ni à cette histoire alambiquée, qui donne lieu, en l'espèce, à un pesant dénouement didactique en forme d'indigeste rembobinage à rebours, ni à la psychologie des personnages qui, réduits à des figures de papier animées, ne sont pas incarnés, il privilégie donc une approche formelle maniériste, enquillant effets visuels, dont l'incontournable split-screen hérité de la bande dessinée, et inserts cinéphiliques, sur laquelle les avis pourront osciller de manière radicale entre collage excitant les petites cellules grises pour les amateurs de puzzle et fastidieuse carte d'échantillons pour les autres.
Ce qui aurait pu constituer un exercice de style, certes un peu vain mais, au diable, que le roi s'amuse... Mais, il s'avère largement parasité par un pseudo-érotisme lié à la psyché masculine intégrant le symbolisme, l'animalité et la sensualité attachée à la chevelure rousse, le stéreotype fantasmé de la figure féminine, sainte-nitouche, en l'occurrence avec croix de baptême au cou et sous-vêtements Petit Bateau, révélant une panthère à la sexualité débridée, et le fétichisme, pour le moins esthétique.
En effet, Joann Sfar, qui indique "la seule chose que j'avais en tête en cherchant ma comédienne, c'était l'idée de créer une star", a trouvé la "nouvelle Adjani". Elle se nomme Freya Mavor, et sa plastique, notamment ses longues jambes, ces non obscurs objets du désir filmées sous tous les angles et formats possibles, a fasciné Joann Sfar, pour le moins sa caméra.
Le réalisateur-pygmalion a été vampirisé par la jeune mannequin et actrice écossaise. Quant à sa prédiction, il va falloir attendre les prochaines prestations de la belle Freya Mavor.
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