Alors que le Musée Marmottan-Monet consacre au peintre Camille Pissarro une rétrospective monographique ("Pissarro - Le premier des Impressionnistes"), le Musée du Luxembourg se focalise sur sa production en sa dernière demeure à Eragny-sur-Epte.
Organisée par la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais, l'exposition "Pissarro à Eragny - La nature retrouvée" a été conçue par les historiens d'art Richard Brettell, directeur de l’Edith O’Donnell Institute of Art History de l'Université du Texas, et Joachim Pissarro, arrière-petit-fils de l'artiste et
enseignant à l'Université de New York, dans une démarche inhabituelle pour une monstration picturale.
En effet, ils proposent d'analyser l’esthétique des œuvres tardives de la longue carrière de Pissarro sous un angle politique dès lors qu'elles seraient constitutives d'un manifeste illustrant les convictions politiques de l'artiste.
Pissarro à Eragny : la campagne au rythme des saisons et des labeurs
Quand il s'installe à Eragny en 1884, Pissarro a dépassé la cinquantaine et ne change ni de style ni de registre, nonobstant le titre de l'exposition évoquant la nature retrouvée. L'ainé et précurseur de l'impressionnisme est, et reste, même s'il a opéré des incursions urbaines, un peintre des champs.
A première vue, la centaine de tableaux sélectionnés, parmi l'abondante production de cette période qui atteint 450 toiles recensées, ne révèle pas de novation significative au regard des oeuvres antérieures, nonobstant une tentation pointilliste, et Pissarro décline le motif en trois registres : la figure ("Femme au fichu vert"), la scène de ruralité ("Fenaison") et le panorama ("Neige soleil couchant").
D'une part, Pissarro exalte la campagne environnante de manière paisible sous tous les angles et toutes les saisons avec des paysages dans lesquels se profilent parfois de simples silhouettes ("Derrière la meule").
Et s'il peint également son jardin, celui-ci s'avère bien différent, avec son potager familial, de l'emblématique jardin d'agrément de Giverny immortalisé par Claude Monet, même si "L'escalier - coin de jardin" peut évoquer le pleinairisme bourgeois qu'affectionnent les impressionnistes.
D'autre part, la figure prend parfois le pas sur le motif avec les portraits de paysannes
in situ, rarement au repos ("Le bain de pieds", "Femme au fichu vert"), dans le cadre de leur ouvrage agreste ("Bergère et moutons", "Faneuses le soir") ou domestique ("Laveuse dans le jardin d'Eragny").
Enfin, la peinture de genre avec les scènes de travaux des champs ("La moisson à Eragny", "La cueillette des pois", et de nombreuses études sur les smeeurs, moissonneurs et faucheurs), représentant un labeur joyeux, librement consenti. représenté de manière idéalisée, qui, toutes proportions gardées, rappellent les décors muraux des écoles de la IIIème République glorifiant le travail manuel.
Là intervient le propos des commissaires qui rappellent que Pissarro était non seulement profondément anarchiste, et également en matière artistique, mais partageait les idéaux utopiques du socialisme associatif.
Homme du 19ème siècle, il se méfie du progrès industriel naissant, source de misère ouvrière qu'il stigmatise dans de virtuoses dessins à la plume publiés en un album intitulé "Turpitudes sociales".
En revanche, il croît en la vertu du travail de la terre sous une forme collective au sein de communautés rurales, préfigrations du kibboutz et sovkhoze, qu'il pratique dans sa propre maison ainsi que l'atteste une section photographique.
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