Je viens d’apprendre que les Beach Boys se reforment : Brian Wilson, Mike Love et Bruce Johnston seraient en train de préparer un grand concert aux Etats-Unis. Les reformations des groupes mythiques sont un passage obligé. Pourquoi des personnes, qui n’ont plus rien à faire ensemble, en viennent-elles à s’associer à nouveau ? Pour la gloire ? L’argent ? Le spectacle ? Un peu des trois sans doute. Je crois que la reformation serait la possibilité, pour les musiciens, de s’assurer qu’ils sont encore les acteurs principaux de l’histoire musicale, continuant de s’écrire. Les Beach Boys veulent (se) prouver qu’ils n’ont pas vieilli.
J’ai rencontré récemment la tante Ursule du docteur Chort. Charmante vieille femme : une force de caractère. Elle m’a beaucoup parlé des Beach Boys : elle est restée très fan de Pet Sounds. "Un monument !" ne cessait-elle pas de me répéter. Au cours de l’entretien, j’ai perçu en elle une folie, légère mais persistante − comme des éclats de lucidité. Je me souviens surtout de cette phrase, concernant la reformation en question : "Vers son terme, la vie rappelle la fin d’un bal masqué, quand on retire les masques." No comment.
J’avais apporté avec moi le disque Bye Bye Cellphone des 1973, en espérant qu’elle m’aiderait à le chroniquer. "Que penses-tu, tante Ursule, de ce remake des Beach Boys, par le groupe 1973 ?" Elle ne dit rien, garda le silence un long moment, avant de me répondre : "Le temps de la vie a un mouvement accéléré comme celui d’une sphère roulant sur un plan incliné". Enigmatique réponse. Ce disque est en réalité assez ennuyeux, mais quels seraient les arguments le justifiant ? On sent la bonne volonté derrière le projet : les types ont bien bossé les Beach Boys, ont sorti un disque honnête, gentil, mais sans réelle profondeur. Pour résumer, je dirais que ce disque est un bon single. On y trouve deux bons titres − "Vegas" et "Simple Song (for a complicated girl)" − ; le reste ne convainc pas.
Je décidai de le faire écouter à tante Ursule. Au milieu du premier titre, elle s’exclama : "c’est toujours mieux que cette supercherie d’Arcade Fire ! Mais ça ne vaut pas un clou face aux Beach Boys de ma jeunesse ! Et les Beach Boys d’aujourd’hui ne valent plus un clou !". Le docteur Chort m’avait prévenu de ce genre de réactions, qui masquent une véritable sensibilité. J’avais envie d’en savoir plus : "dans ce cas, tante Ursule, quels seraient les meilleurs Beach Boys de notre temps ?". Elle me regarda d’un air étrange, comme si je lui avais posé une question insensée : "la pop ne vaut plus rien aujourd’hui, c’est mort tout ça, il ne nous reste plus rien !" me dit-elle nerveusement, avant d’ajouter sur un ton plus calme : "tu devrais plutôt te mettre à la musique classique." Avant de la quitter, je lui ai tout de même laissé ce disque de 1973, on ne sait jamais, peut-être prendra-t-elle la peine de l’écouter jusqu’au bout, et de réaliser qu’un bon "single", c’est toujours mieux que rien. |