Curieux opus que celui paru sous le titre "Le Roman du Juif universel" dans la collection "Le roman des grands destins" dirigée par Vladimir Fédorovski aux Editions du Rocher.
La couverture laisse accroire d'une part, qu'il s'agit d'un livre écrit à quatre mains par Elena Bonner, grande figure de la dissidence russe, et veuve du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, physicien nucléaire qui fut le concepteur de la bombe H avant de de consacrer à la défense des droits de l'homme et des victimes politiques, et le philosophe français André Glucksmann.
Et d'autre part, d'un essai sur le concept du "Juif universel" par opposition à celle du "juif de territoire", le premier, visant le Juif de la diaspora acteur de la mondialisation et se référant à la revendication d’une identité historique alors que le second s'attache à la description d’une appartenance citoyenne à une nation implantée sur le territoire et formant un Etat souverain, problématique récurrente au coeur de la question juive depuis son émergence avec la théorisation du sionisme au début du 20ème siècle.
En realité, il s'agit de la transcription par Galia Ackerman, écrivain, historienne, journaliste spécialiste de la Russie et traductrice, d'entretiens entre Elena Bonner et André Glucksmann qui se sont déroulés en 2004 et dont elle était l'instigatrice.
En effet, ayant croisé la première et étant l'amie du second, elle trouvait intéressante la confrontation entre deux personnalités de générations différentes (14 ans les séparent), provenant de familles juives "en complète rupture avec le judaïsme traditionnel" et communistes, qui ont perdu leurs illusions communistes et sont "devenus adeptes d'une idéologie des droits de l'homme qui suppose la foi en la démocratie occidentale".
Or, dans ces quatre entretiens, la question du Juif universel n'est pas vraiment débattue en tant que telle puisqu'ils traitent successivement du cheminement personnel, de la Russie sous le gouvernement Poutine, du terrorisme, du nihilisme moderne et de la création d'un Etat palestinien et enfin du mystère de l'antisémitisme.
De quoi intéresser sans doute les passionnés d'histoire qui ont présents à l'esprit le contexte politique de 2004.
Quant à ce qui concerne la confrontation, elle tient pour l'essentiel à la différence d'approche intellectuelle. Elena Bonner, qui était médecin et a vécu en Russie sous l'ère soviétique, procède souvent de manière analogique à partir de son expérience personnelle in situ et souvent illustre ses propos par des faits vieux d'un demi-siècle alors que André Gluckmann, philosophe, procède de manière cognitive.
Galia Ackerman ne précise pas si la finalité de ces entretiens étaient d'être publiés, ni la raison pour laquelle ils sont publiés précisément en 2011, indiquant simplement qu'en 2004 "nous avons eu l'impression de n'avoir dit que très peu de choses" et que ce n'était qu'en 2011 qu'il avait paru possible de les reprendre en raison de l'état de santé de Elena Bonner, ce qui finalement n'a pu se faire du fait de son décès en juin 2011. A noter que suivent un certain nombre d'entretiens qu'elle a eu en bilatéral avec cette dernière ou avec André Glucksmann ainsi que d'autres, tous déjà publiés par ailleurs, qui forment une sorte de tribute en hommage à Elena Bonner. |