Réalisé
par Arnaud Desplechin. France. 1h56 (sortie 11 septembre 2013).
Drame. Avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric et Gina McKee.
Bien des thèses et des positions de Georges Devereux ne me plaisent guère en matière de psychanalyse, mais sa contribution à cette discipline et à l'anthropologie sont incontournables. Une des rares œuvres qui a pu me réconcilier avec cet auteur est sa Psychothérapie d'un Indien des Plaines, texte fondateur de ce que l'on appellera plus tard l'ethnopsychiatrie, à ranger sans conteste aux côtés des Cinq Psychanalyses de Freud. Même si l'appareil théorique d'anthropologie culturaliste influencé à l'époque par Margaret Mead, Merton, et Kardiner a considérablement vieilli, l'ouvrage (récemment réédité par Fayard) comporte une soigneuse retranscription des séances [1].
Un des mérites d'Arnaud Desplechin est d'avoir été particulièrement fidèle à la lettre de ce texte si particulier, adaptant çà et là le contexte pour les besoins de la narration cinématographique. C'est à Mathieu Amalric qu'il revient d'incarner un Devereux fantasque et décalé, sorte de trublion accueilli par des médecins à court de moyens et dans l'incompréhension face à un invalide, sans maladie organique identifiée [2].
On découvre donc un chercheur passionné sans l'aval des associations psychanalytiques de l'époque (pourquoi serait-on étonné ?) se consacrer à ce seul patient en tant qu'anthropologue. La barrière des cultures, dès lors, importe peu car toutes les conditions de l'analyse sont là : association libre, transfert, rêves passés au filtre du travail de la culture, et révélant un vécu tragique. On reprochera peut-être au réalisateur d'avoir quelque peu sous utilisé Benicio del Toro, presque effacé derrière son personnage, à moins de juger que cette permanente colère rentrée et monotone soit un des traits qui incarnent essentiellement le personnage [3]. Plus que tout, on appréciera de lire, plans après plans, cette fraternité et cette tendresse qui traversent le film (notamment dans la relation entre Devereux et son amante Madeleine).
Arnaud Desplechin indiquait dans la conférence de presse donnée à Cannes qu'il avait eu pour volonté de laisser la même part à l'analysant qu'à l'analyste, et Mathieu Amalric de confier qu'il a tout simplement commencé une analyse ! Jimmy P. nous rappelle avec enthousiasme la nécessité d'inventer en psychanalyse plutôt que de s'accabler à transmettre ce que nous croyons avoir reçu. La fulgurance et la pertinence d'un Devereux tiennent autant à la situation inédite de son approche qu'au savoir inconscient d'un homme déchiré et n'ayant jamais renoncé à créer. A voir ! |