Et oui, je suis encore tombé sur l'une de ces pépites dont tout le monde se fiche royalement, un groupe qu'on qualifiera facilement de "mineur" si l'on se fie aux ventes, à la promotion et enfin à la critique dont ne bénéficièrent guère les membres de ce collectif germano-anglais nommé Weed. Attention, ne confondez pas avec le combo métal sludge de Vancouver actuel, ou bien avec The Weeds, combo pop des sixtees.
En regardant la pochette de Weed, rien, vraiment rien ne me laissait présager une telle claque. Je me suis alors revu en 1996 quand, dans la boutique exiguë d'un disquaire stéphanois, je tombais sur Crack Attack des obscurs Big Stick, dont le seul honneur public était leur signature sur Blast First, premier label des Sonic Youth et d'autres pointures alternatives. Mais autour de moi, personne ne connaissait ne serait-ce que le nom. Et leur disque m'a donné une droite dans la tronche dont je me rappelle dans les moindres détails. Leur pochette était intriguante et louche, leurs têtes déguisées risibles, mais la musique ne mentait pas. Et elle continue de me prêcher ses vérités avec Weed : la dame sur la pochette sourit d'un air malsain comme si sa bouche allait éclater, entourée de couleurs flashy qui filent la gerbe. Ni psyché, ni pop art, juste un air d’encart publicitaire pour nourriture canine.
Évidemment, l'on sait peu de choses sur ce "collectif". J'explique l'emploi de ce terme : le Britannique Ken Hensley, connu pour son jeu de clavier et de guitare sur les premiers disques du groupe hard-prog Uriah Heep, qui, soit dit en passant, a parfois fait de la musique de qualité, hélas pour moi gâchée par les voix suraïgues du chanteur, à la limite de Spinal Tap. En tout cas, Hensley donnait du bon à ce projet grâce à un talent évident, mais je pense qu'il s'est senti à l'étroit dans Uriah Heep au point de s'entourer de nouveaux partenaires : trois allemands évoluant dans la sphère du Krautrock, toutefois à tendance heavy-rock. Ce qui sortira de ce mélange de background, de culture et d'influences est l'album éponyme de Weed, enregistré et sorti confidentiellement en 1971.
6 titres, 31 minutes. A l'époque, Hensley est entre deux disques de son groupe (Salisbury et Look at yourself) et songe à une carrière solo. L'expérience avec ces allemands va le forcer à explorer de nouveaux espaces et à apprendre à se remettre en question. J'ai également lu que Weed ressemblait vaguement à certains disques solos du claviériste, devenu avec son nouveau projet compositeur, chanteur et leader du groupe.
Après une rapide écoute, rien dans sa discographie n'égale Weed. Dès la première chanson, tout est dit. Ou plutôt tout est prédit, car sinon ce serait un peu ennuyeux ! Un chaos de guitares introduit le titre assez lourdingue "Sweet morning light". Ce qui fait souvent défaut aux groupes de rock un peu bruyants est souvent la présence d'un bon chanteur, qui sait poser sa voix et écrire des textes simples et cinglants. Et là, on est servi : le chant très détaché, presque insolent, est parfaitement soutenu, ça ne rigole pas. Les guitares crient, supplient, invoquent, dans des parties de solos hallucinants qui se perdent et se retrouvent. Le son est agressif et tendu même quand le tempo est modéré et l'ambiance mélodique. Cependant, ne vous attendez pas à trouver la même orgie sonore que sur des Grand Funk Railroad ou des Black Sabbath (strictement, au niveau des décibels émis durant l'enregistrement). Simplement, on sent la hargne et la nervosité. L'orgue a un son démentiel car à l'époque, on savait fabriquer du bon matériel, et s'en servir.
Bien souvent, quand un groupe de rock réussit à me surprendre au niveau de la gestion de l'agressivité, il ne tient pas la route quand il fait des titres calmes et doux. Et bien pas là : la deuxième chanson est magnifiquement mélodieuse, très bien composée. On peut oser le terme "psyché". Je dis "oser" car je suis en plein dans un article de fond sur le psychédélisme et je suis un peu frileux à exposer mes questionnements sur cette partie de la contre-culture qui me fascine mais me révolte par ce qu'en ont fait certains acteurs. Bref.
Weed a du culot, et le culot, j'adore ça. Troisième titre : l'on se dit : "Tiens, ma chaîne stéréo a un souci, le son est bien faible..." Mais, ah ah ah... C'est simplement qu'en se rapprochant un peu des enceintes, on peut découvrir une faible introduction au piano (mais fortement jolie) qui précède un riff groovy à foison, et toujours cette voix chaude, presque suave, sûre d'elle et détachée dans le même temps. Le quatrième titre est un blues-rock bien senti, certes classique mais efficace et sans remplissage, juste ce qu'il faut où il faut.
La fin du disque est certes moins surprenante que le début, mais les trois derniers titres ne dénoteraient pas sur un album de Creedence Clearwater Revival ou de Jimi Hendrix. C'est pour vous dire le niveau du feeling que dégage Weed. Écoutez les solos tordus en tous sens à l'aide de votre casque : vous serez surpris par le travail de stéréo qui a été minutieusement soigné. La dernière chanson, nommée "Weed" débute sur un tempo classique de rythm'n'blues et fait partir la cadence dans une bruyante cacophonie, semblable à celle qui avait initié l'auditeur une fois lorsque la fonction "play" fût activée, trente minutes avant.
De nouveau facile à acheter (réédité en 2004), cet album est le seul et unique du groupe et à ce titre, il mérite toute votre attention. Weed n'a jamais fait, ne fera jamais de mauvaise musique. Un cadeau à la fois frustrant mais rassurant. Ah, si le talent payait ! Si la justice pouvait avoir le droit d'exister dans ce misérable bas-monde ! Si ! Mon institutrice, blasée par mes questionnements incessants lorsque j'étais en CP, me dit un jour : "Avec des si on mettrait Paris en bouteille". Depuis, j'ai souvent pensé à cette grande ville sous une méga couche de verre, ses habitants prisonniers... N'hésitez pas à donner votre avis sur le site de Froggy's, ça m'intéresse fortement ! Bonne bourre...
Loïc Silence
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