Que s’est-il passé dans les salles de classes aux lendemains des attentats de 2015 ? Voilà la question à laquelle cet ouvrage nous répond. Une réponse apportée par Emmanuel Saint-Fuscien, docteur en histoire qui a recueilli les témoignages de nombreux enseignants ou administrateurs en poste au moment des évènements dans une cinquantaine d’établissements mais aussi ceux d’élèves.
Les attentats de janvier et de novembre 2015 ont profondément bouleversé nombre d’acteurs des mondes scolaires (élèves, enseignants, chefs d’établissement, personnels de l’encadrement) qui y furent confrontés. La sidération ne dura pas car une parole s’empressa de combler la rupture que l’événement suscitait entre la société et son école publique d’une part, et au sein des établissements scolaires d’autre part.
Qu’elle fut médiatique, politique ou savante, elle se déploya d’abord contre l’école, dressant le constat d’un déclin général, le plus souvent sur fond de recul de la laïcité et d’empiètements d’un islam communautaire sur les valeurs de la République. Au sein des salles de classe en revanche, d’autres mots et d’autres gestes furent mis en partage sous des modalités proches parfois des pédagogies de temps de guerre.
Cet ouvrage ne porte pas sur les actes terroristes de 2015 pour eux-mêmes mais sur la manière dont ils ont percuté l’école publique, en janvier, où l’on a prédit son écroulement, puis en novembre. En analysant la réaction de la haute administration d’abord, ce qui s’est passé dans les établissements scolaires ensuite, Emmanuel Saint-Fuscien démontre en réalité la résistance d’une institution (la dernière peut-être) mettant face à face des centaines de milliers d’acteurs de toutes origines, dont la totalité des enfants des classes populaires. C’est le constat passionnant de ce livre aussi novateur qu’éclairant.
On se rend bien compte à la lecture de l’ouvrage que les attentats de janvier ont révélé les failles de la société française dans les établissements. Mais en même temps, on a vu en novembre une institution participant ensemble à un travail de deuil national faisant taire, pendant un instant trop court malheureusement, toutes les critiques qu’on avait pues lui adresser.
Nulles leçons toutes faites à l’epoque, pas de programme imposé ici pour parler avec les élèves de ces évènements. On a dû (je dis on car j’y ai participé) utiliser des pratiques hybrides et plurielles, parler de ce que l’on ressentait, inventer ensemble avec les élèves des solutions pour faire face au tragique. Durant un court moment, les relations pédagogiques furent totalement bouleversées.
L’ouvrage est passionnant, du début à la fin, et ce même pour quelqu’un qui ne serait pas prof car il montre bien comment on a eu tendance à accabler l’école (on a à l’époque beaucoup parler des incidents qui ont émaillé certaines salles de classe au moment des minutes de silence sans préciser vraiment qu’ils étaient insignifiants en nombre par rapport aux moments d’émotions collectives partagés).
Il montre aussi comment l’école a fait front dans ce deuil, que le travail de cette institution ne s’est pas limité à une minute de silence, tout comme l’administration et le ministère aussi (avec notamment la sécurisation des établissements scolaires et un soutien aux enseignants).
Evidemment, dans l’ouvrage, on parle beaucoup de l’histoire-géo puisque de nombreux témoignages recueillis par l’auteur sont ceux d’enseignants dans cette matière et puisqu’ils furent en première ligne pour discuter des attentats avec les élèves (ce fut encore plus le cas au passage lors de l’assassinat de notre collègue Samuel Paty). Il nous montre comment et pourquoi la pratique du débat s’est développée au sein des classes après les évènements.
C’est au final un travail remarquable que nous propose l’auteur pour bien comprendre ce qu’il s’est passé à l’école au cours de la terrible année 2015. |