Pénombre, lumière diffuse, corridors sombres dont les clartés viennent d'étranges boites juxtaposées à des photographies également à peine éclairées. Un sentiment d'inquiétante étrangeté.
C'est "Etats des lieux", exposition que la Maison Européenne de la Photographie consacre aux oeuvres de Charles Matton, personnage singulier aux talents multiples, portant l'étiquette "artiste multiforme" à laquelle il préfère celle de "fabricant d'images", qui pratique de manière transversale, aussi bien la photographie, la peinture, le cinéma et... le maquettisme.
Factuellement, des photographies, des vues stéréoscopiques et des miniatures.
Charles Matton photographie des lieux clos, une pièce, de la salle de bains à l'atelier d'artiste, vide de toute présence humaine, qu'il reproduit à échelle réduite.
Des reproductions fidèles et minutieuses jusqu'au plus infime détail.
Mais non pas des pièces anonymes.
De vrais lieux de vie, de vie privée voire intime, et des lieux emblématiques de personnalités célèbres comme le cabinet de Freud, l'atelier de Francis Bacon, la chambre à coucher de Paul Bowles ou le grenier de Sacher Masoch.
Charles Matton transforme le visiteur en voyeur gullivérien. Ce qui est tout à fait fascinant réside dans la captation du regard opéré par ces boites qui paraissent comme autant de scènes de théâtre vides.
En passant de la photographie à la maquette, le regard bascule pour se focaliser sur un détail, un objet ("Faire surgir l’objet, voilà qui est plus important que de le faire signifier" écrivait Jean Baudrillard à ce propos).
Un objet élu par le regard du spectateur et qui est signifiant pour celui-ci. Les scènes vides vont devenir le lieu de représentation de l'univers psychique du spectateur.
Car tout le travail de Charles Matton tourne autour de la pulsion scopique conceptualisée par Freud, la pulsion de voir et l’acte du regard, ce que Saint Thomas d'Aquin appelait la convoitise des yeux, et son dérivé, la pulsion de savoir.
Déclencher cette pulsion est aussi l'enjeu de l'art.
Une exposition passionnante et pour le moins interactive.
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