Qu’attendre
en 1967 de cette bande de drôles d’oiseaux qui n’a couvé
en son sein rien de moins que l’aristocratie des guitar heroes anglais
de la fin des sixties ? Telle pouvait être la question existentielle du
fan de la première heure à l’aube de la sortie de ce quatrième
album. Petit retour en arrière.
Les Yardbirds se forment en 1963 autour du chanteur Keith
Relf et du guitariste Chris Dreja, lesquels recrutent
pour pallier à la défection de leur soliste Anthony Topham,
un jeune génie de dix-huit ans, Eric Clapton. C’est
sous cette première mouture (dans le peloton de tête du Blues Boom
avec les Animals, le Blues Incorporated d’Alexis
Korner, le Graham Bond Band ou encore les Blues Breakers de
John Mayall) que le groupe enregistrera, en 1964 au Crawdaddy, leur
célébrissime album live :"Five Live Yardbirds",
interprétations impeccables de reprises pas piquées des hannetons.
Peu après, les Yardbirds décrochent un tube complètement
dans l’air du temps, "For Your Love", provoquant du
même coup le départ précipité du sieur Clapton effarouché
par les orientations commerciales et éloignées de ses racines
blues prises par le groupe : délicate position que de se retrouver sans
soliste au moment où le succès pointe son nez …
Un certain Jimmy Page, connu comme requin de studio, est pressenti
pour prendre la place de Clapton mais au final la nouvelle recrue s’appelle
Jeff Beck, avec qui le combo explorera de nouvelles voies allant
du psychédélisme au heavy metal naissants. Cette époque
est également marquée par la réalisation de leur chef-d’œuvre
absolu, "Roger The Engineer" en 1966, avec les classiques
"Over Sideways Down", "The Nazz Are Blue"
…
Le départ du bassiste Paul Samwell-Smith la même
année donne une seconde chance à Jimmy Page d’intégrer
le groupe à la basse avant de passer à la six-cordes (Chris Dreja
se sacrifiant devant l’étendue du talent du futur fondateur de
Led Zeppelin). De cette formation mythique ne subsistent que quelques
enregistrements dont le fameux "Stroll On" enregistré
pour le "Blow-up" d’Antonioni.
Après le départ de Jeff Beck, le groupe se cherche, hésitant
entre se laisser porter par la nouvelle vague naissante ou effectuer un retour
aux sources. Après le semi-échec du single éponyme ("Little
Games"), le quatuor enregistre sur trois jours son nouvel opus qui
n’aura jamais le luxe d’entrer dans les charts anglais, accélérant
par la même la fin du groupe. Et pourtant ce disque mérite une
seconde chance, ce que démontre impeccablement cette réédition
EMI de 2003.
On y découvre un Jimmy Page en très grande forme portant littéralement
le disque à bout de bras : "White Summer", "Drinking
In Muddy Waters" (pompée sur "Rolling And Trumblin’"
de Muddy Waters déjà repris par Cream) ou "No
Excess Baggage" (où apparaît John Paul Jones
à la basse). En plus de la tracklist originale, ce superbe CD propose
sept outtakes studio ainsi que huit titres enregistrés à la BBC
entre 1967 et 1968.
Dans la première catégorie figurent deux reprises assez inattendues
("Ha Ha Said The Clown" et "Ten Little Indians")
ainsi que deux joyaux : "Think About It" et "Goodnight
Sweet Josephine". C’est pourtant en dernière position
de la série d’enregistrements à la BBC que l’on trouve
le véritable objet de l’achat de ce disque : une version inédite
de "Dazed And Confused" qui, même si elle n’atteint
pas les versions après dispensées par le dirigeable, en possède
déjà toute l’incroyable ossature.
Moins d’un an plus tard, Jimmy Page a assemblé les New Yardbirds,
bientôt rebaptisés Led Zeppelin dont les deux morceaux de bravoures
scéniques sont "The Train Kept A Rolling" et "Dazed
And Confused", mais là débute une autre histoire … |