Nous avons vu Anne
Coutureau, comédienne, dans la pièce Théâtre
de Jean-Luc Jeener qui se joue au Théâtre du Nord-Ouest
et avons fait sa connaissance à l’issue de la représentation
grâce à Carlotta Clerici, metteur en scène de
cette pièce et membre elle aussi du Comité du Théâtre
Vivant.
Heureuse idée, et coïncidence troublante, de lui avoir
proposé de se retrouver sur le parvis de l’Opéra
et d’aller au tout proche bistrot L’entracte car ce
lieu lui rappelle un très bon souvenir. En effet, c’est
là que son premier projet de mise en scène, celui
de "La critique de l’Ecole des femmes" de Molière,
s’est heureusement concrétisé.
Conversation à bâtons rompus menée bon train
pendant une courte pause méridienne.
Lui ai-je dit que j’avais été sidérée,
au sens premier du terme, et émue par la femme qu’elle
incarnait dans la pièce et combien elle est vivante, talentueuse
et lumineuse ? Non. Que cette omission, hélas volontaire
face à mon impossibilité de lui dire de vive voix
sans sombrer dans une sentimentalité larmoyante, soit ici
réparée.
J’ai vu le nom de Coutureau dans le hall du
théâtre du Nord-Ouest et je me suis demandée
s’il y avait un rapport avec vous ?
Anne Coutureau : Oui. Philippe Coutureau. C’était
mon père qui au moment où le théâtre
du Nord-Ouest s’est ouvert est venu à ma demande, car
il était architecte, pour donner son avis sur le lieu. Il
s’est lié d’amitié avec Jean-Luc Jeener,
le directeur du théâtre, et aussi avec Monsieur Gozlan
le propriétaire. Et la négociation est intervenue
entre eux.
Je pensais qu’il était dans le milieu
théâtral et je me suis dit que vous étiez tombée
dedans quand vous étiez petite.
Anne Coutureau : Il n’était pas dans
le théâtre mais dans le monde artistique néanmoins
et un de ses frères fait du théâtre depuis plusieurs
années au sein de sa compagnie qui s’appelle Les oiseaux
de passage. Donc il y avait quand même une petite ambiance
familiale tournée vers les arts.
Alors comment êtes-vous venue au théâtre
?
Anne Coutureau : Je suis venue au théâtre
pour de très mauvaises raisons. J’aimerais bien vous
dire que quand j’avais trois ans je me déguisais dans
le grenier avec les vêtements de mes parents. Mais absolument
pas. Je ne connaissais rien au théâtre. J’étais
au lycée et cela me faisait chier. J’adorais le cinéma.
Je me faisais draguer par des abrutis qui me disaient Oh tu as de
beaux yeux, tu devrais faire du cinéma. J’ai du le
croire vaguement et puis je me disais c’est facile, on gagne
plein d’argent. Je voulais faire un peu Romy Schneider comme
métier. J’adorais les films de Claude Sautet.
Et donc après le bac je me suis inscrite dans
un cours de théâtre et j’ai eu vraiment beaucoup
de chance car je suis tombée sur Claude Mathieu où
j’ai d’ailleurs rencontré Yvan Garouel qui est
un type extraordinaire qui m’a fait découvrir le théâtre
et le travail surtout. J’étais jamais allée
au théâtre donc je n’avais aucune raison d’en
faire. Comme pour plein de gens de ma génération je
ne savais pas trop quoi faire et je pensais que c’était
facile. Et heureusement que je suis tombée sur Claude Mathieu.
J’aurais pu aller au cours Florent de devenir une petite minette
à la con…
Et après, du dilettantisme au professionnalisme
?
Anne Coutureau : J’ai glandouillé une
petite année dans cette école et ensuite j’ai
travaillé, j’ai rencontré des gens formidables,
j’ai eu aussi la chance d’être un petit faite
pour cela, car j’aurais pu aussi complètement me planter
et dans ce cas je ne sais pas du tout ce que j’aurais fait
de ma vie. Je ne sais rien faire d’autre. Et à la sortie
de l’école j’ai rencontré Jean-Luc Jeener
et nous avons enchaîné les projets ensemble. Sous sa
direction j’ai joué une dizaine de pièces dans
lesquelles je jouais de grands rôles passionnants ce qui a
contribué également à continuer à ma
formation, ce qui m’a fait évoluer en tout cas. Et
puis grâce au théâtre du Nord-Ouest que nous
avons ouvert ensemble, je me suis mis à la mise en scène.
Et voilà !
Comment avez-vous rencontré Jean-Luc Jeener
?
Anne Coutureau : Grâce à Yvan Garouel.
Ah ! Yvan Garouel est décidément incontournable
!
Anne Coutureau : D’autant plus qu’il est
un peu mon parrain dans le métier. Comme nous étions
dans la même école, il venait nous voir et c’est
un des premiers qui est venu me voir et me parler de mon travail.
Nous sommes devenus amis et nous parlions beaucoup de théâtre.
Et l’école Claude Mathieu dispense un enseignement
qui n’est pas qu’un enseignement mais également
une manière d’être et de voir le métier.
Souvent Yvan me disait que dans le métier ce serait plus
difficile que ça, que la réalité n’est
pas tout à fait…sauf avec Jean Luc Jeener.
Et à chaque fois il ponctuait ses phrases avec
Sauf si tu travailles avec Jean Luc Jeener. Un jour, il m’a
dit "Appelle-le". Je l’ai appelé. Il cherchait
une comédienne et nous nous sommes rencontrés. J’ai
déjeuné avec lui et j’ai quand même passé
deux auditions. Il m’a engagé dans la foulée
pour jouer Ann Boleyn dans "Thomas More" de Jean Anouilh.
Il s’agissait d’un petit rôle, enfin un rôle
important mais en présence sur scène je n’avais
que trois petites scènes. Et ça a été
formidable. C’était une rencontre artistique, humaine.
Et nous sommes à ce jour toujours amis et très très
proches. Donc, en effet, c’est la faute à Yvan.
A votre sujet, j’ai trouvé essentiellement
des références théâtrales. Vous ne jouez
pas pour le cinéma ou la télévision ?
Anne Coutureau : Effectivement, j’en ai fais
très peu, des petits trucs presque accidentels. J’ai
un agent. Mais je ne mets pas toute mon énergie à
essayer de trouver du travail dans le cinéma ou la télévision.
Quelle est votre actualité et quels sont
vos projets ?
Anne Coutureau : En ce moment, je joue dans "Théâtre"
de Jean Luc Jeener monté par Carlotta Clerici et toujours
au théâtre du Nord-Ouest je joue dans "le Partage
de midi" de Claudel mis en scène par Laurence Hétier,
qui est aussi un jeune metteur en scène. Je crois que c’est
un très bon spectacle. C’est toujours difficile de
dire cela d’un spectacle dans lequel on joue – j’
interprète Ysé et je suis presque toujours sur scène
– mais c’est aussi ce que disent les spectateurs. Et
puis sur le plan artistique et esthétique, il est un peu,
beaucoup dans la ligne du théâtre vivant. Ce sont des
situations concrètes avec des gens qui parlent, la langue
est d’ailleurs truculente, il y a plein de fautes de syntaxe,
sa poésie est magnifique. Le texte est fait pour être
dit, mâché, vécu et c’est dans cet esprit
que l’on a travaillé ce qui n’enlève rien
ni à la poésie ni à la métaphysique,
au contraire. Cela jusqu’au 15 mai.
Et puis j’essaie d’exploiter une pièce
que j’ai mis en scène l’année dernière
"Chansons de septembre" de Serge Kribus, une création
dans la veine du théâtre vivant. J’essaie de
trouver un théâtre, des partenaires, un co-producteur
et des comédiens ce qui est très difficile car il
s’agit d’une pièce contemporaine avec 12 personnages,
personne n’est connu, avec une mise en scène pas très
efficace (sourire), il y a des silences.
Donc je cherche et je trouverai je ne sais pas où ni quand.
Et puis l’année prochaine je jouerais
dans "L’envol" la pièce de Carlotta Clerici
dont elle assurera la mise en scène. Et c’est tout.
Après bien sûr, il y a des projets, plein de pièces
que j’aimerais monter.
La mise en scène est un prolongement logique
du métier de comédienne ?
Anne Coutureau : Ah oui ! Pour moi complètement.
Dans ce théâtre vivant qui réaffirme le rôle
central de l’acteur, être comédienne m’a
amené à la mise en scène. Ma première
mise en scène est "La critique de l’école
des femmes" de Molière. Il y avait un cycle Molière
prévu pour l’ouverture du théâtre du Nord-Ouest.
Je lisais un peu tout et je savais que cette pièce allait
être montée et je me suis demandée s’il
y avait un rôle pour moi. Et j’ai trouvé que
tous les rôles étaient pour moi, le premier, le deuxième,
le troisième, qui sont des femmes et même quand le
quatrième personnage est entré et que c’était
un homme, c’était encore un rôle pour moi, le
cinquième aussi et au sixième je me suis dit Mais
ces rôles je les comprends tous ! Mais c’est évident
! Je les sens. Donc ça y est ! Il faut que je fasse la mise
en scène ! Je suis allée voir Jeener et je lui ai
dis que j’avais très envie de monter cette pièce.
Il m’a répondu : Pourquoi pas ? Allez-y !
Vous vous êtes attaqué immédiatement
à un grand texte classique. Ça s’est passé
comment ? C’est empirique, intuitif ?
Anne Coutureau : Exactement. Mais c’est comme
tout, on imagine des tas de choses pour les grands événements
comme pour les événements tragiques et quand ça
arrive, on est dans la réalité. Je m’étais
aussi entourée d’amis en qui j’avais confiance,
dont le fameux Garouel, qui était ravi, très enthousiaste
et quand un homme comme ça est ravi ça donne confiance.
Et puis je me suis dit que je n’allais pas y arriver, qu’il
s’agissait d’une responsabilité écrasante.
Lors de la première répétition le matin à
dix heures, on est dans l’état dans lequel on est,
il en est de même pour les comédiens qui ont un peu
le trac. On s’occupe un peu d’eux et donc moins de soi.
Et puis on essaie de voir où ils en sont de l’apprentissage
du texte. Et puis on fait vaguement une mise en espace et là
rien de va et c’est tellement évident que même
un enfant le verrait. Et on parle pour qu’ils se détendent,
qu’ils parlent un peu plus juste, qu’ils parlent à
l’autre…et puis voilà on a commencé. Et
trois mois après la pièce est montée.
A l’origine avez-vous néanmoins une
idée directrice au départ ?
Anne Coutureau : Personnellement non. J’ai davantage
une sensation. Déjà je sais si j’ai envie ou
pas de monter une pièce mais je n’essaie pas d’analyser
pourquoi. Sauf qu’on se trouve dans un système à
la con qui oblige d’écrire des notes d’intention
pour faire des dossiers pour demander de l’argent. On est
obligé de s’interroger alors que la chose n’a
pas eu lieu et c’est absolument épouvantable.
Il s’agit d’un exercice formel…
Anne Coutureau : …oui et qui peut même
dénaturer le regard vierge, et qui doit être vierge,
porté sur le travail. Enfin c’est ma façon de
voir ; il y a des gens qui fonctionnent autrement. En ce qui me
concerne, plus je suis vierge, neutre plus je suis forte. Car je
suis très influençable. Donc si je commence à
projeter ce que je dois faire et pourquoi, ce n’est pas très
bon. Et quand on manque de confiance on le fait ça. Et quand
on n’a pas confiance, c’est un peu emmerdant. Il vaut
mieux travailler, avoir confiance, être heureux et suivre
le désir et puis faire avec. Du moins c’est ainsi que
je fonctionne.
Donc j’ai envie, j’y vais et ensuite
je découvre pourquoi j’ai envie si tant est que ce
soit important de le découvrir. Ce n’est pas forcément
important. Ce qui est clair c’est le désir qui sourient
dès le début dès le premier coup de fil pour
préparer la pièce au jour de la première, qui
permet de supporter les semaines de travail. Le désir doit
être évident, sans réserve même si on
l’impression que c’est pour de mauvaises raisons entre
guillemets…il ne faut pas se poser trop de questions.
Vous avez bénéficié de rencontres
heureuses mais avez-vous joué sous la direction de metteurs
en scène qui travaillent très différemment
?
Anne Coutureau : Ces rencontres on effectivement très
largement orienté ma carrière parce que d’abord
ça m’a immergé dans une famille et qu ej’ai
travaillé avec Carlotta Clerici, Mitch Hooper, Olivier Foubert,
Laurence Hétier…Les rares metteurs en scène
avec lesquels j’ai travaillé et qui n’étaient
pas dans le registre théâtre vivant l’étaient
quand même mille fois plus que la majorité des metteurs
en scène. Et cette petite différence a été
pour moi parfois extrêmement pénible. C’est difficile
ne pas être pleinement en accord avec ce que l’on fait
quand on est comédien. Quand on est metteur en scène
aussi parce que personne en nous demande, on n’a pas d’argent,
il n’y a que nous qui le décidons.
Acteur, on est appelé alors face au désir
de l’autre il est parfois difficile de refuser surtout s’il
s’agit de grands rôles, de grands textes. Il y a des
choses qu’il ne faut pas refuser. Mais quand en plus il n’y
a pas de prestige, d’argent, et que ce que l’on fait
c’est pour le sens, c’est très difficile de ne
pas être en accord complètement. Donc dans mon cas,
les expériences hors du théâtre vivant ont été
douloureuses. Cela dit, si j’avais rencontré Christian
Schiaretti, Claude Régy qui font un théâtre
totalement à l’opposé du théâtre
vivant mais à un certain niveau, on en sort moins abîmé.
Mais c’est complètement autre chose dans ce cas et
ce sont des gens très intelligents, très talentueux
qui savent ce qu’ils font. Je ne pense pas que les acteurs
soient malheureux.
A lire vos prestations passées, il semble
que vous ayez joué davantage de textes classiques.
Anne Coutureau : Non. En fait c’est moitié-moitié.
J’ai fait beaucoup de créations. J’ai monté
trois classiques et trois pièces contemporaines, des créations
à chaque fois. En tant que metteur en scène, je suis
plus attirée par la création de textes contemporains
car c’est le grand risque que l’on a envie de prendre
au théâtre. C’est déjà fou de faire
du théâtre et travailler sur une parole d’aujourd’hui
de quelqu’un de vivant est encore plus porteur et plus risqué.
Il est vrai que j’ai monté aussi les trois sœurs
deTchekov qui était aussi très risqué.
Mais avec Tchekov, Feydeau, Molière on est
plus tranquille car on est déjà en bonne compagnie.
On sait que la pièce est bonne ce qui donne déjà
une certaine assise. Et le fait est qu’il est plus facile
de monter une grande pièce ; on se laisse porter. Beaucoup
de choses nous échappent mais ce n’est pas grave. Bien
sûr cela comporte aussi des difficultés car il faut
faire ses preuves…le Hamlet d’untel. Mais on ne se situe
pas vraiment dans ce schéma car ce que l’on fait tout
le monde s’en fout. Les deux pièces de Jeener que j’ai
montées n’étaient pas très difficiles
car il a une écriture extrêmement précise qui
oriente.
Avec ce parcours, créer la Compagnie du Théâtre
Vivant coulait de source ?
Anne Coutureau : Oui. D’autant que Carlotta,
Mitch, Yvan et moi nous nous voyions beaucoup, nous parlions, nous
travaillions ensemble. Tout a commencé avec "L’amour
existe" de Mitch Hooper dans laquelle je jouais avec Yvan Garouel.
Ce projet était un concentré de ce qu’allait
devenir le Théâtre Vivant.
Pour vous que représente cette compagnie
et quelle est sa finalité ?
Anne Coutureau : La finalité est de changer
le monde qui déconne complètement et qui a absolument
besoin de nous. Le rêve qui est devenu un projet est d’avoir
un théâtre que nous gérerions ensemble. Car
il faut des moyens pour faire du théâtre, il faut être
relativement libre et pour cela il faut un peu de moyens. Un peu
ce qu’a fait Jean Luc Jeener au théâtre du Nord-Ouest.
Un lieu spécifique où l’on puisse faire de la
création. Et pour moi, c’est un outil de travail et
surtout, c’est plus facile à plusieurs. Quand il y
en a un qui baisse, les trois autres sont là pour l’aider.
On apporte des compétences différentes, nos carnets
d’adresses, nos avis. On s’engueule beaucoup aussi.
Par exemple Yvan et moi ne sommes jamais d’accord sur rien,
c’est rigolo, ni sur les spectacles que l’on voit que
sur les stratégies. Il est vrai que nous n’avons pas
la même histoire théâtrale. Mais c’est
passionnant.
Et le nombre engendre une certaine crédibilité
dont ne dispose pas un individu isolé.
Anne Coutureau : Oui.
Une question me tarabuste. Pourquoi Jean Luc Jeener
ne fait pas partie de votre compagnie ?
Anne Coutureau : Notre compagnie a l’intention
de faire autre chose que ce que fais Jean Luc Jeener…En fait,
il faut pour bien répondre à cette question, prendre
les choses autrement. Jean Luc Jeener est un homme extraordinaire,
complètement fou, complètement passionné, libre.
C’est un homme libre ce qui est très rare. Et ce dans
le sens fort du terme. Il a une pensée libre, une action
libre en accord avec sa pensée, ce qui est absolument remarquable
– et je n’ai jamais rencontré un homme semblable.
C’est admirable. Et c’est cela que l’on suit quand
on suit Jeener, plus le talent. Il est irrésistible. Nous
quatre l’avons rencontré à des moments différents.
Ce théâtre du Nord Ouest est un lieu
exceptionnel dans lequel tous, et surtout moi car je me suis découverte,
épanouie et je lui en suis redevable. Cela étant c’est
une personnalité très forte qui a un projet personnel
précis avec ce théâtre dans lequel des personnalités
un peu fortes également comme les nôtres ont du mal
à s’insérer. Jean Luc Jeener a besoin de gens
derrière lui. Et nous, nous avons envie d’être
devant. Donc nous allons faire un peu la même chose mais à
notre sauce.
Voilà une réponse très fine.
L’exemple du théâtre du Nord-Ouest avec toutes
ses difficultés financières qui sont récurrentes
et gravissimes ne vous effraie pas ?
Anne Coutureau : L’énergie que l’on
dépense à essayer de placer nos petits spectacles,
le temps, un peu l’argent aussi, c’est énorme.
Il y aurait moins de déperdition si nous le faisions dans
un lieu à nous. Ce serait de l’investissement. De toutes
façons, les risques existent et nous les avons de toute façon.
Et puis il n’est pas facile de nous décourager. La
difficulté est plutôt un excitant. Dans le projet de
Jeener, sa volonté de demeurer libre, de protéger
sa liberté de créateur, ce qui va très loin
chez lui, est inclus dans le fonctionnement de ce théâtre
totalement atypique qui reste ouvert de manière quasi-miraculeuse.
Bien sûr c’est un homme de foi mais voir ce théâtre
qui perdure en dépit des difficultés donne envie d’y
croire. Il a une bonne étoile. Mais cela reste très
fragile. Nous aimerions fonctionner un peu plus dans le système,
sans rabaisser le niveau. Et le théâtre du Nord-Ouest
est quelque chose d’énorme : 1 2OO m², deux grandes
salles, 40 spectacles, 200 comédiens, un programme tous les
six mois.
Certes mais cette démesure est rendue viable
par la manière de fonctionner. Les projets qu’il reçoit
pour chaque programmation sont très nombreux. Ce qui prouve
qu’il y a un besoin et plein de gens parmi lesquels sans doute
des gens talentueux qui ne peuvent pas s’exprimer dans le
circuit traditionnel.
Anne Coutureau : Oui. Et il ouvert ce théâtre
pour cela. Ce qui rend son projet d’autant plus remarquable
et force le respect. On le lui reproche beaucoup cette ouverture
mais cela est très généreux. Et il est le seul
à le faire. Les autres directeurs de théâtre
ont leur théâtre pour monter leurs pièces. Cette
saison Jeener n’a monté que deux pièces sur
40. il fait confiance, il se plante parfois, et parfois il ne se
plante pas. Et dans ce cas cela vaut le coup. Et puis même
dans les autres cas, il existe une dimension humaine rare.
Quel genre de théâtre recherchez-vous
?
Anne Coutureau : Idéalement, il faudrait un
endroit dans Paris, qui ait une âme, ce qui très important,
ni trop grand ni trop petit car c’est un théâtre
de proximité. On voit beaucoup de petite salle avec un rapport
scène/salle intéressant mais plate. Pour le théâtre
vivant, tout ce qui est invisible est très important. En
dessous de 200 places c’est difficile d’être rentable
et on ne peut faire abstraction de cette question de rentabilité
car on voudrait que le théâtre fonctionne. Et puis
impérativement, un bar ou un foyer où les gens puissent
se retrouver, se rencontrer. Il faut une âme et pas seulement
pour l’artistique. C’est également important
pour les spectateurs. L’accueil doit être chaleureux,
humain, attentionné, sans jouer les flics à la caisse
pour que le spectateur soit dans une bonne disposition. Car c’est
pour lui qu’on fait du théâtre.
Vous travaillez beaucoup avec les autres membres
de la Compagnie du Théâtre Vivant selon des géométries
variables puisqu’il y a deux auteurs-metteurs en scène
(Clerici et Hooper) et deux acteurs-metteurs en scène (Garouel
et vous-même). N’est-ce pas sclérosant ?
Anne Coutureau : Comme nous venons de la créer,
peut être que dans dix ans ce sera sclérosant. Mais
non car nous n’avons pas signé de contrat et nous pouvons
travailler partout ailleurs. Ainsi le partage de midi n’est
pas un spectacle théâtre vivant. Les chansons de septembre
c’est le label Théâtre Vivant mais c’est
les productions Pleins feux et la Foire Saint Germain qui m’ont
aidé à monter le projet. La Compagnie du Théâtre
Vivant est une structure qui essaie de faire de la production maintenant
mais dans notre esprit c’est d’abord une sorte de label,
de qualité on verra, mais au moins de charte. Pour nous derrière
Théâtre Vivant il y a plus le manifeste, la pratique
et la démarche artistique que des produits de production.
Mais ce label en quoi consisterait-il s’agissant
de spectacles montés par d’autres ?
Anne Coutureau : Je ne sais pas. C’est une question
à se poser pour l’avenir. Entre nous on utilise un
peu cela pour qualifier un spectacle que nous avons aimé.
Nous avons beaucoup d’amis qui font ce même genre de
théâtre. Le fait est que nous quatre qui avions beaucoup
de points de commun et surtout une volonté commune de revendiquer
cette façon de procéder, de militer et d’ouvrir
ce théâtre ensemble. Si d’autres veulent nous
suivre, nous aider, ce sera formidable.
Cela peut vous permettre également d’obtenir
des subventions.
Anne Coutureau : Oui. Ce n’est pas un mal d’obtenir
des subventions. Comme nous ne faisons pas du théâtre
commercial, il faudra bien que nous soyons aidés à
un moment ou à un autre. Et nous y comptons beaucoup. Et
c’est possible puisque nous défendons un vrai projet,
où à mon avis il y a un certain niveau et que nous
faisons du théâtre depuis assez longtemps.
Le manifeste soutient un discours théorisé.
Qui est le théoricien de la Compagnie car la rédaction
est linéaire et cohérente.
Anne Coutureau : Pour le moment, il n’y a pas
de leader. Nous réussissons l’exploit de penser et
d’écrire à quatre. Mais nous écrivons
tous beaucoup et nous avons commencé par écrire une
sorte de rapport personnel sur notre manière de voir et nous
avons réuni toutes les notes d’intention et nous avons
tout lu. Ensuite nous faisons attention à ne pas être
trop personnel, trop lyrique dans le style pour avoir une rédaction
claire et précise sur des sujets qui ne sont pas aisés.
On se réunit et quand il y a divergence, on essaie de se
convaincre mutuellement et à défaut d’unanimité
on retire la phrase ou le mot.
Donc il s’agit d’une synthèse.
J’ai noté qu’il y avait une unité de style
dans votre manifeste comme il y a une unité de ton dans les
propos des quatre membres même si vous avez chacun votre personnalité.
Anne Coutureau : Le projet Théâtre Vivant
c’est aussi de communiquer sur un projet artistique précis
et nous avons donc également intérêt sur le
plan de la communication à avoir un discours cohérent.
Et puis nous avons tous une pensée qui s’est mûrie
et cultivée en chacun de nous pendant de longues années.
C’est lié aussi à une vision du monde.
La Compagnie du Théâtre Vivant a un
site web. Y a-t-il déjà quelques retombées
notamment de professionels du théâtre ?
Anne Coutureau : Non c’est un peu prématuré.
Et nous n’avons pas encore prévenu le Monde de notre
existence. Mais cela démarre tout doucement avec des réactions
de nos proches mais également de gens du théâtre
qui ont entendu parler de nous. Et j’espère que cela
nous permettra de rencontrer des comédiens qui ont envie
de jouer avec nous.
Faire des spectacles est aussi une manière
de se faire connaître et de crédibiliser votre démarche.
L’année dernière vous avez monté de nombreux
spectacles. Avez-vous pour l’année qui vient des projets
qui permettront d’étoffer en quelque sorte votre carte
de visite ?
Anne Coutureau : Nous avons des projets mais nous
demeurons individualistes car nous avons tous les quatre des personnalités
différentes et très fortes, ce qui n’est pas
sans poser de problèmes, mais cela permet des échanges
très riches. Cela étant nous avons un fonctionnement
très individualiste par rapport à nos désirs.
Il ne nous viendrait pas à l’esprit de demander aux
autres leur avis sur un projet. Nous décidons chacun individuellement
de nos projets.
La Compagnie du Théâtre Vivant peut-elle
s’analyser comme un commun dénominateur, un tronc commun
d’idées que vous partagez, mais sans rigidité
qui permet à chacun de conserver son autonomie ?
Anne Coutureau : Oui. Mais j’aimerais bien qu’on
me passe une commande dont je n’aurais peut être pas
eu l’envie, dans un registre différent de celui que
j’aime et que je sois obligée de trouver une solution.
J’aimerais beaucoup m’attaquer à ce style d’exercice
et encore davantage entant que comédienne. Travailler ailleurs
ne posera aucune difficulté au sein de l’équipe.
De toute façon, pour le moment, nous y sommes obligé
pour des raisons alimentaires. Car nous ne gagnons pas d’argent
avec le Théâtre Vivant.
En termes de carrière, vous avez commencé
par être comédienne, puis metteur en scène.
Pensez-vous à l’écriture ?
Anne Coutureau : J’ai une admiration paralysante
pour l’écriture dramatique qui me paraît être
le genre littéraire le plus difficile à maîtriser.
Ceux qui pratiquent le théâtre sont sans doute ceux
qui y parviennent le mieux. J’essaierais un jour. Toucher
d’un peu plus près le sens ce sera écrire. Donc
oui mais je ne sais pas quand.
Comme comédienne, je suis plus avancée
sur le plan de l’instrument. Je me sens plus débutante
pour la mise en scène et, de fait, je le suis. En revanche,
je ne me sens pas moins passionnée. Je pense que je vais
mener de front les deux, voire les trois quand nous aurons le théâtre
car il faudra le gérer, le diriger, faire le ménage.
J’ai le désir d’écrire mais
je ne sais pas si j’ai le talent d’y réussir.
Vous venez de parler du ménage dans votre
futur théâtre. Cela veut-il dire que vous envisagez
un modèle de fonctionnement par participation à la
manière de celui pratiqué au sien du théâtre
du Nord-Ouest ?
Anne Coutureau : Exactement car je ne vois pas comment
faire autrement dans un premier temps.
Cela implique que vous formiez une équipe
très soudée et tournée vers le même but
?
Anne Coutureau : Oui. Même s‘il y a des
engueulades, c’est la vie. Et pis si cela se passe mal, on
fera autre chose ailleurs. Ce ne sera jamais du temps perdu.
Ce projet vous demande d’y consacrer beaucoup
de temps et d’énergie. Vous reste-t-il du temps pour
être à votre tour spectateur ?
Anne Coutureau : Oui surtout qu’au théâtre
du Nord-Ouest on joue en alternance ce qui permet de voir les pièces
des autres. J’adore ça.
Comment faites-vous une sélection ?
Anne Coutureau : Je vais un peu dans toutes les directions.
Pas trop le théâtre privé-privé chic
parce que c’est cher et que je suis toujours un peu déçue.
Je vais plutôt voir les metteurs en scène créatifs.
Hier soir je suis allée voir "Exécuteur 14"
d’Abdel Hakim à l’Aqueduc à Arcueil-Cachan
qui est très intéressant. C’est un projet cohérent
avec une recherche d’adéquation entre le fond et la
forme qui est assez réussie.
En remontant un peu dans le temps, y a-t-il un
spectacle que vous avez vu dont vous vous êtes dit C’est
celui-là que j’aurais voulu faire. Je ne pourrais plus
jamais le faire. Ou au contraire, il faut que je le fasse.
Anne Coutureau : Vous allez rire mais la première
fois que je me suis dit cela c’était face à
une mise en scène d’Yvan Garouel (rires).
Il s’agissait de la pièce "Le marchand de glaces
est passé". En sortant, j’ai dit : "Je ne
savais pas que l’on pouvait faire du théâtre
comme ça !" Du théâtre simple, vrai, fort,
proche de l’homme. C’était une révélation.
Et je me suis dit : "Oui c’est cela qu’il faut
faire". Mais j’étais à l’école
et je manquais du recul critique. J’étais dans l’impression.
Une autre expérience, c’était avec Jean Luc
Jeener quand il a monté "Le misanthrope". Il s’agissait
d’une reprise d’une mise en scène datant de dix
ans qui de reprise en reprise avait vu tous les comédiens
changer et se passer le relais sans que la mise en scène
de la création change. Il y avait Gabriel Ledoz et Nathalie
Bienaimé qui étaient formidables. Et je me suis dit
: "Merde ! Je ne pourrais plus jamais le monter !"
Vous partagez donc le sentiment d’Yvan Garouel
qui dit que quand ça a été très bien
monté, ce n’est plus possible dele faire ?
Anne Coutureau : Oui. C’est un peu emmerdant.
J’ai l’impression que je n’irais pas plus loin.
Qu’il n’y a pas un petit revers de sens qui lui ait
échappé. J’ai eu le même sentiment pour
Don Juan que Jeener a monté avec Florent Guyot qui est un
des plus grands comédiens vivants. Il faut l’écrire
en gras ! Je me souviendrais toute ma vie de l’entrée
de Florent sur le plateau. Il y avait dan son œil un tel gouffre,
une telle quête métaphysique, une telle folie. On sentait
que seule la main de Dieu pouvait l’arrêter.
Cela étant, il y a plein d’autres pièces
à monter. Et qui sait dans dix ans si je n’aurais pas
envie de monter Don Juan?
La saison Feydeau prévue au théâtre
du Nord-Ouest vous tente ?
Anne Coutureau : Oui. J’ai monté "L’homme
de paille" il y a trois ans qui est une pièce complètement
folle avec 2 personnages, c’est un régal avec ?????????
et Michel Ditz, 2 personnalités formidables aussi …
Je les monterais bien toutes mais je n’ai pas tellement le
temps … C’est une folie mais de toute façon tout
est folie… Mais la folie c’est plutôt un argument
pour.
Quel est le sentiment d’un comédien
lorsqu’il joue dans une salle où il y a 4 ou 5 spectateurs
? Est ce que cela a une incidence pendant ou après le spectacle
?
Anne Coutureau : De toute façon le spectacteur
à une incidence, qu’il soit 4 ou 20 cela a une incidence
et par forcément négative. C’est selon l’état
dans lequel ils sont, la façon dont ils reçoivent
…qu’ils soient 4 ou 500 ce n’est pas spécifique
par rapport au nombre. Pour répondre honnêtement à
votre question ce n’est pas du tout un problème de
jouer devant 4 personnes. Ce qui pourrait être un problème
ce serait de jouer devant 4 personnes pendant 10 ans. Ponctuellement,
ça ne l’est pas.
Et de toute façon au moment de la représentation
ce n’est pas un problème, surtout dans la petite salle
où vous avez vu théâtre dans laquelle on est
très proche des gens et une personne c’est déjà
énorme, c’est un univers, c’est un continent
c’est … Alors 4 fois c’est vous vous rendez compte
? C’est aussi énorme ! Et de toute façon dans
cette salle dès qu’il y a 15 personnes on a l’impression
que c’est plein…
Dans la grande salle c’est un peu différent,
elle est déjà plus grande. En fait c’est une
question d’énergie. Il faudrait avoir autant d’énergie
en face que celle qu’on envoit … et quand ce n’est
pas le cas, et ce n’est pas toujours lié au nombre,
et bien c’est un petit peu difficile. Mais ceci dit la question
est absurde car qu’est ce que 4 ou 10 ou 250 personnes ? C’est
bien mais 600 c’est beaucoup mieux, alors quand on pense qu’on
est 5 milliards sur terre évidemment.
Après c’est une question de désir
de succès, de gloire, même si je ne suis pas exempte
de ça. Et puis de toute façon je trouve que nos spectacles
sont bons ! Alors évidemment que j’aimerais jouer devant
plein de gens, avoir beaucoup de succès etc… mais quand
c’est 3 personnes qui vous répètent "Si
si accrochez vous vous avez du talent" on peut se mettre à
douter. Se dire que peut être on est un génie mais
c’est parfois un peu dur d’être dans l’ombre.
Si on l’était moins on saurait qu’on est ni des
génies ni des nuls. Parce que on entend toujours les mêmes
choses des gens qui sortent des spectacles "Ah je savais pas
mais c’est vraiment intéressant…". Les gens
trouvent ça fort, touchant, ils y repensent, ça les
nourrit, c’est vraiment cela qui est important.
Oui mais le problème pour les spectateurs
qui ont vu vos spectacles, c’est qu’après voir
les autres cela devient plus difficile.
Anne Coutureau : Je vous remercie du compliment…
Alors battez vous pour qu’il y ait plus de spectacles de théâtre
vivant, c’est au public de prendre le relais. |