Réalisé par Cristi Puiu. Roumanie/France/Bosnie/Croatie/Macédoine. Drame. 2h53 (Sortie le 3 août 2016). Avec Mimi Branescu, Judith State,Bogdan Dumitrache, Dana Dogaru, Sorin Medeleni, Ana Ciontea, Rolando Matsangos et Catalina Moga.

Deux heures et cinquante trois minutes...

A priori, une telle durée pour un film où tout se passe essentiellement dans un appartement calme immédiatement les ardeurs cinéphiliques. On le comprendra quand on parlera, dans quelques semaines, de "Toni Erdman" et de ses deux heures et quarante trois minutes qui ont incompréhensiblement enthousiasmé Cannes.

Car, à l'inverse de la languide "comédie" allemande, le quatrième film roumain de Cristi Puiu, auteur de "La Mort de Dante Lazarescu" et d' "Aurora", joue habilement du temps qu'il s'est imparti.

Si l'on voulait résumer ce film très simple qui s'échappe au seuil de chaque pièce franchie, on pourrait dire qu'on y attend un prêtre comme Godot, sauf qu'il finit, lui, par venir très ou trop tard et qu'en attendant on y joue par petites touches "Festen" sans que cela prenne un tournant totalement dramatique.

Dans cette famille pléthorique, avec en prime une étudiante serbe qui n'arrête pas de vomir, tous les problèmes de la Roumanie semblent avoir décidé de se donner rendez-vous...

"Sieranevada" de Chris Puiu peut ainsi se lire comme une métaphore d'un pays théâtral où chaque personne est un personnage et a quelque chose à raconter, à rabâcher.

Pourtant, tout part du respect des rites : il s'agit ici de célébrer par un repas – qui donne faim tant ses lents préparatifs sont minutieusement reconstitués – la mort du père de famille, il y a sept ans.

Sans doute éloigné du groupe familial par sa réussite sociale, Lary, le protagoniste principal est un médecin affublé d'une femme bien plus chic que les femmes de ses frères. Il paraît désormais distant de son milieu d'origine, prêt à s'en amuser, bien décidé à ne plus entrer dans les polémiques d'antan...

Mais, c'est long, un repas qui ne commence pas et un huis-clos avec des gens que l'on connaît depuis si longtemps...

Toujours est-il que Lary vivra lui aussi son petit "Festen" et que, peu à peu, à son image, le spectateur dénouera tous les fils complexes unissant ou détruisant une famille si commune à toutes les autres.

On s'amusera franchement comme on sait s'amuser dans le cinéma roumain. On vivra des moments de forte tension et d'émotion rentrée ou, à l'inverse, toute sortie. On aura aussi des moments de vaine tempête et de calme plat. Bref, dans ce grand appartement, chacun aura quelque chose de fort à dire et l'on appréciera cette théâtralité totalement naturelle commune aux grands films roumains.

"Sieranevada" de Cristi Puiu, écrit par celui-ci, pourrait être joué sur les planches sans avoir besoin d'être beaucoup réécrit.

Sa densité, son explosivité, sa manière subtile de varier les histoires et de les inclure toutes dans un canevas à la fois lâche et rigoureux, font de "Sieranevada", au titre énigmatique, un moment de cinéma très fort.

On saura gré à Cristi Puiu de ses parti-pris casse-gueule et de la haute tenue d'un récit qui a, on le répète, raison de mettre deux heures cinquante trois à traiter un sujet, sans d'ailleurs chercher à le résoudre entièrement.