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Interview  avril 2020

Nous avions, il y a quelques semaines, succombé aux charmes multiples du très beau disque autour de Schumann (Gesänge Der Frühe, Kreisleriana) de la pianiste Laurianne Corneille. Nous y trouvions musicalité, objectivité, sensibilité, poésie, intimité, fêlures et les figures doubles d’Eusébius et Florestan. Une dualité que l’on retrouvait naturellement dans la musique et le jeu de Laurianne Corneille qui alterne les passages calmes et sereins et des moments plus tourmentés ou violents. Nous avons voulu approfondir un peu plus en lui posant quelques questions...

Laurianne, peux-tu nous parler de ton parcours de musicienne, de pianiste ?

Laurianne Corneille : J’ai demandé à jouer vers 4 ans, mais j’ai dû patienter deux ans et demi pour des raisons logistiques. Ma famille n’était pas musicienne mais mélomane.

L’envie d’en faire mon métier est venue relativement tardivement, parce que j’ai toujours été passionnée par énormément de choses.

Après des études musicales en France qui m’ont menée au CRR de Boulogne-Billancourt, ma manière de jouer a trouvé son plein accomplissement lorsque j’ai rencontré mon Maître, Evgeny Moguilevsky, au Conservatoire Royal de Bruxelles. Il m’a aidée à développer ce qui était présent, sans jamais chercher à me changer. C’est le propre des Maîtres, je crois.

C’est un enseignement que je ne peux pas oublier et qui m’inspire aujourd’hui en tant que pédagogue.

Comment travailles-tu une œuvre ?

Laurianne Corneille : Ma première envie est celle de vouloir absorber l’œuvre d’un bloc, c’est comme une sorte d’hyperphagie.

Mais la musique a besoin de temps. Alors, si j’ai suffisamment de temps devant moi, j’aime réaliser une première lecture et laisser "infuser" un peu. L’œuvre a une vie propre en dehors de sa réalisation physique. Commence alors une démarche psychique : la collection de tout un univers qui vient s’agréger autour de l’œuvre et m’inspire. Lorsque ce décor est vivant, je m’y installe et je peux travailler.

D’autre part, j'évite d’écouter des interprétations tant que la mienne ne me semble pas assise. Je fais cette démarche après coup, comme pour avoir un retour d’autres musiciens, qui viennent conforter ou non certaines options.

Pour toi l’art doit-il être synonyme d’engagement ?

Laurianne Corneille : Je l’ai écrit dans un essai, alors je le pense profondément.

Après, tout dépend de ce que l’on entend par "engagement". On peut avoir envie qu’une œuvre d’art représente un aspect social, une injustice que l’on souhaite mettre en exergue pour aider les consciences à travailler dessus.

Mais par extension, je préfère parler de notion de justice que de politique. Cette dernière notion est rarement comprise au sens étymologique.

L’engagement peut aussi être poétique, esthétique, etc. In fine, cela pose la question ultime de la nécessité. Il m’était nécessaire par exemple de faire ce disque, puisqu’il est un témoignage vivant d’un accident devenu transcendance. En cela, mon geste artistique est engagé.

Quel est ton rapport avec les œuvres ?

Laurianne Corneille : Viscéral, émotionnel, violent. Je dois être bouleversée. Puis je dois mettre ce bouleversement en jachère le temps du travail. Je me discipline. Au final, il revient au galop. "J’aime la règle qui corrige l’émotion, j’aime l’émotion qui corrige la règle" disait Braque.

D’où vient cette envie de te fabriquer un personnage ?

Laurianne Corneille : Si le geste artistique m’est vital, je n’aime pas particulièrement me mettre en avant. Le personnage permet d’avancer masqué, ce qui colle totalement à l’univers schumannien. Il permet d’accéder à d’autres mondes puisqu’il oblige la personne qui porte le masque à jouer un jeu. Je souhaitais ici rassembler deux pôles, masculin et féminin, pour permettre une fusion créatrice. L’énergie masculine portée sur ce projet m’a emmenée ailleurs.

Il est étrange de constater a posteriori qu’on parle souvent davantage de soi à travers une fiction que par le biais de l’autobiographie.

Le personnage n’altère pas la sincérité.

Chez toi l’art ne peut se concevoir que comme "complet" (son, image...) ?

Laurianne Corneille : Pas nécessairement : je ne cherche pas forcément à voir un art complet chez l’autre. Je n’attends rien.

Mais mon univers se définit ainsi, oui. Une thématique autour de laquelle viennent s’agréger des satellites. Je ne me pose pas la question, il en a toujours été ainsi. Je donne simplement une forme à ce désir.

Pourquoi Schumann ?

Laurianne Corneille : Parce qu’il est multiple et changeant comme un bord de mer.

Parce que je me reconnais en lui. Parce qu’il m’est nécessaire. Parce qu’il est brisé. Parce qu’il ne cesse jamais de chanter derrière la fêlure.

Pour rebondir sur cette phrase de Roland Barthes : "J'aime Schumann... et peut-être me demanderez-vous "comment l'aimez-vous ?", eh bien, à ça je ne peux pas répondre parce que je dirais que je l'aime précisément avec cette partie de moi-même qui m'est à moi-même inconnue". Comment aimes-tu Schumann ? Es-tu allée chercher cette partie inconnue en toi ?

Laurianne Corneille : J’aime Schumann de manière immédiate, viscérale. Je ne me demande pas si je l’aime : je vais vers Schumann. C’est effectivement très intime, et il m’a obligée à aller chercher cette partie inconnue. Vivre avec sa musique pendant des mois m’a demandé d’emprunter mille chemins. Je me suis perdue et retrouvée, mais j’étais différente. Je crois qu’il faut détacher une partie de soi, il faut abandonner quelque chose de soi pour aller voir ce qu’il se passe derrière. C’est toute la beauté de l’interprétation lorsqu’on souhaite la vivre pleinement. Comme dans toute histoire d’amour, lorsque l’on se donne vraiment, il reste toujours quelque chose de l’autre en soi, comme un éclat à jamais plaqué sur soi.

Nous sommes la somme de ces histoires amoureuses, musicales, poétiques. Il faut pouvoir muter et c’est passionnant.

Et tu portes une grande importance aux mots...

Laurianne Corneille : Oui. J’écris et ils sont ma première source de préhension : je m’approche du monde avec les mots en premier lieu. Je touche le monde avec le son et l’écrit, avec le graphème et le phonème pour reprendre des termes chers à Barthes. Après seulement peut naître le contact...

Et la relation entre une idée musicale et une idée littéraire...

Laurianne Corneille : Grande lectrice, je ne peux pas aborder la musique sans qu’une ou plusieurs corrélations littéraires (et artistiques) surgissent d’elles-mêmes. C’est un travail qui se fait malgré moi. Il m’est délectable. Il me permet de ne jamais laisser de côté toutes ces lectures qui me sont aussi importantes que la musique que je joue. L’arborescence est un jeu et une poésie.

Les liens entre littérature et musique sont indissociables dans la pensée, mais également dans la musique de Schumann. Ces liens sont, selon Bernhard Appel, un "modelage catégoriel de la pensée créatrice : déroulements narratifs, emphase rhétorique, digressions, retours en arrière, gestes récitatifs, pointes épigrammatiques et aphorismes sont des structures acquises à travers la littérature, que Schumann convertit en composition". Cela doit donc résonner particulièrement en toi...

Laurianne Corneille : Je ne connaissais pas cette pensée de Bernhard Appel. Merci pour cette citation. C’est incroyablement juste. Schumann était effectivement passionné par la littérature, écrivain et compositeur ; donc sa musique "dit", elle invente un modèle musical qui suit ce qu’il dit à travers ce cerveau fantasque.

Schumann, c’est l’être tourmenté par excellence, fantasque, dépressif et passionné. Le double est au centre de ton disque L’hermaphrodite. Chez Schumann, c’est Eusébius et Florestan :  le calme, la rêverie d’un côté, la passion, les excès de l’autre. Cela se retrouve dans la musique dans cette alternance de passages, de moments de pure poésie et d’autres largement plus tourmentés. Ne doit-on pas accepter cette dualité, qui est en chacun de nous, pour nous transcender ?

Laurianne Corneille : Je le crois bien sûr. La dualité inquiète parce qu’elle semble déséquilibrer dans un premier temps. Et personne n’aime se mettre en danger.

Mais deux éléments de nature différente ne font pas que s’opposer, ils se complètent et finissent par s’équilibrer.

Ce sont plutôt les êtres monolithiques qui sont dangereux...

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Robert Schumann : L'hermaphrodite de Laurianne Corneille

En savoir plus :
Le site officiel de Laurianne Corneille
Le Soundcloud de Laurianne Corneille
Le Facebook de Laurianne Corneille


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