Comédie dramatique et mise en scène par Charlotte Lagrange, avec Sidney Ali Mehelleb, Clara Lama Schmit, Julie Pilod, Rodolphe Poulain et Gen Shimaoka.

Avec sa Compagnie La Chair du Monde dédiée à l'interrogation du politique par le biais de l’intime pour "raconter le monde non pas tel qu’il est, mais tel qu’il est ressenti", Charlotte Lagrange méne une entreprise ambitieuse au fond comme en la forme dans une conception du théâtre qui ne ressort pas au divertissement.

En 2011, elle s'est distinguée dès son premier spectacle "On n'est pas là pour disparaître" dont elle relevait le défi de l'adaptation pour la scène d'un texte narrativo-réflexif sur la mort d'Olivia Rosenthal et avait impressionné en 2016 avec son opus personnel "Aux suivants" sur les maux de la société libérale.

Ces deux spectacles révélaient un tropisme pour l'imbrication de différents niveaux et sources de récits mnésiques, ce qu'elle qualifie de "fils narratifs" entremêlés, imbrication également présente dans sa partition intitulée "Les Petits Pouvoirs" ordonnée sur le thème des enjeux de pouvoir décliné dans les domaines des questions de genre et du désir sexuel.

L'argument en paraît clair : pour concrétiser leur projet de société dystopique dans une île japonaise abandonnée, un couple d'architectes (Rodolphe Poulain et Julie Pilod) qui fonctionne sur le mode de la rivalité et des jeux de pouvoir, engage une jeune assistante néophyte (Clara Lama Schmit) qui constitue une pierre d'achoppement et va également se trouver emportée dans une spirale d'instrumentalisations.

De même pour le propos, la question de l'adhésion quasi volontaire, innée ou acquise, à un système relationnel oppressif développée en l'espèce au sein d'un trio dans le cadre de relations professionnelles, et ce sur fond de thriller.

En revanche, sa mise en oeuvre est rendue complexe par la non-linéarité chronologique et donc la juxtaposition d'espaces-temps affranchis de la réalité temporelle pour laquelle, dans sa note d'intention, Charlotte Lagrange évoque à juste titre la référence au cinéma lynchien et elle réussit l'exercice dans un format long qui nécessite une attention sans faille du spectateur.

Au diapason, entre loft de créateurs et ascétisme nippon se muant en scène de crime, sous les lumières de Mathilde Chamoux et avec la lancinante création sonore de Samuel Favart-Mikcha, la scénographie multipolaire de Camille Riquier contribue de manière quasi-disruptive à soutenir un texte sous haute tension abordant de foisonnantes thématiques et l'exacerbation des confrontations.

Sous la direction de Charlotte Lagrange, et entourés de Sidney Ali Mehelleb et Gen Shimaoka, les comédiens aguerris Rodolphe Poulain, Julie Pilod et Clara Lama Schmit s'avèrent convaincants dans l'interprétation de ce kaléidoscopique opus.