Comédie dramatique écrite et mise en scène par Arnaud Denis, avec Götz Burger, Jean-Pierre Leroux, Raphaëlle Cambray, Arnaud Denis (ou David Zeboulon) et Jonathan Max-Bernard.
Arnaud Denis, comédien et metteur en scène qui, depuis la création de sa Compagnie Les Compagnons de la Chimère, vole de succès en succès s’agissant tant de la mise en scène de classiques du répertoire ("Les fourberies de Scapin" et "Les femmes savantes" de Molière) que des textes modernes ("La cantatrice chauve" de Ionesco et "Les revenants" de Ibsen) et contemporains ("Ce qui arrive et ce qu'on attend" de Jean-Marie Besset).
En 2011, après avoir proposé un voyage littéraire "Autour de la folie" en forme de seul en scène, il explore une folie plus grande et monstrueuse qui tient à la barbarie du 20ème siècle avec l’évocation de l’Holocauste. Oeuvrant dans le registre du théâtre documentaire et mémoriel, il a conçu, à partir des minutes du fameux Procès de Nuremberg avec adjonction de quelques scènes fictionnelles, un focus sur Hermann Goering appelé à répondre de crimes contre la paix, crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en tant que deuxième haut dignitaire du IIIème Reich.
Sans manichéisme, ni didactisme militant, en considérant le théâtre non comme une tribune politique mais comme un lieu où porter des problématiques universelles et intemporelles, Arnaud Denis a fait une sélection très rigoureuse et précise des questions portées sur scène, questions qui ont alimenté la polémique et dont certaines font encore aujourd’hui débat et qui sont articulées autour du système de défense de Goering.
Car en 1946, si ce dernier, amaigri, flottant dans son uniforme dépourvu de son armada de médailles, ressemblant à un soldat fantoche sorti d’une pièce du théâtre absurde a physiquement perdu de sa superbe, l’homme reste intelligent, cynique et rusé et s’avère un redoutable bretteur aguerri dans l’art de la manipulation et de l’amalgame, les deux fondamentaux de la propagande qui fut au coeur du régime nazi.
Ainsi il se présente comme l’incarnation d’un pays acculé à la ruine à la suite du Traité de Versailles qui l'a condamné à versé aux vainqueurs un tribut de guerre exorbitant et invoque l'état de nécessité, réfute sa responsabilité sur les crimes commis localement dont il n'aurait pas été informé, s'étonne de ce que ni le président américain Harry S.Truman, pour les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, ni Joseph Staline dirigeant de l'URSS, responsable des purges radicales et des goulags, ne figurent au banc des accusés, ne reconnaît ni la légitimité des juges, seul le peuple allemand étant susceptible de le juger, ni leur impartialité en argumentant sur le fait que le tribunal chargé du jugement, qualifié de Tribunal militaire international et représentant uniquement les quatre puissances alliées, ne représente pas la justice internationale mais la vengeance des vainqueurs et discute la qualification juridique des faits tout en contestant la traduction des documents qui lui sont opposés.
"Nuremberg, la fin de Goering" retrace donc quelques moments-clés de la dernière année de vie de Goering, de la conférence de presse précédant l’ouverture des débats à son suicide motivé par le fait que, militaire de métier, s’il aurait accepté d’être fusillé comme un soldat il refusait la honte de la pendaison comme un criminel de droit commun avec un éclairage plus intimiste mais fictionnel, celui des entretiens avec le psychologue américain dont Goering souligne la partialité induite par ses origines juives et les relations nouées avec son gardien, interprétés respectivement par David Zeboulon et Jonathan Max-Bernard.
Le travail de Arnaud Denis, qui assure également la mise en scène, est remarquable car, d’une part, avec une scénographie minimaliste d’Edouard Laug limitée à l’ébauche d’un prétoire et d’une cellule carcérale, dont l'alternance laborieuse avec changements à vue pâtit de l'absence de tournette, il ne verse pas dans la reconstitution hosseinienne du procès de Nuremberg, même si celui-ci comportait par sa médiatisation une part de spectacle, et, d’autre part, il ne recourt pas au levier du pathos en évitant le réalisme visuel lié à la projection d’images ou photos d’archives sur les camps de la mort, se limitant au témoignage direct aussi digne que poignant de Marie-Claude Vaillant-Couturier qui est d’autant plus efficace pour tenter de cerner l’indicible.
L'interprétation des rôles principaux est à la hauteur de la gravité et de l'enjeu du propos : monolithisme puissant et symbole fort pour le comédien allemand Götz Burger interprétant Goering, tension et émotion contenue pour Raphaëlle Cambray en résistante déportée rescapée des camps et justesse imparable de jeu pour Jean-Pierre Leroux incarnant le procureur américain déstabilisé et pris au piège de la dialectique de l'accusé. |