Comédie dramatique écrite et mise en scène par Carole Thibaut, avec Catherine Anne, Jean-Pol Dubois et Hocine Choutri.
Un an, presque jour pour jour, après l'excellent, étonnant et poignant "Avec le couteau le pain", qu'elle présentait au Théâtre de l’Opprimé, Carole Thibaut, comédienne, metteur en scène et auteur dramatique, qui a intégré pour la saison le Théâtre de l'Est Parisien comme écrivaine engagé, y monte "Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars".
Avec ce dernier opus en date, elle poursuit son exploration, par le prisme de la névrose familiale, de la condition de la femme et de la représentation de la figure féminine au théâtre. En l'espèce, elle dénonce le tribut payé par la fille dans un environnement familial pathogène et analyse la relation ambivalente d'amour-haine de la fille oedipienne.
Après trente ans d'éloignement et de silence, la rencontre ultime du père, violent et psychorigide, et de la fille, qui a posé une chape de plomb sur le passé, reproduit, avec une violence inouie, non plus des gestes mais de la parole, la confrontation en miroir entre celui se faisait appeler DLP, dieu le père, et l'enfant rebelle, qui faisait des histoires à propos de rien.
L'écriture de Carole Thibaut, intelligente, acérée et bouleversante, qui déchire le corps et scarifie le coeur, expose toute l'ambiguité des affects pervertis et scrute le processus mental nécessaire, et douloureux, de détachement de ce qui a, en bien ou en mal, fondé l'individu et qu'elle conçoit comme un cérémonial rituel de deuil qui, pour certains, ne peut se réaliser de manière symbolique et inconsciente. Autour gravitent d'autres thématiques satellites, comme celle du pardon ou de la compassion, qui contribuent à l'intérêt et la richesse du texte.
Sur scène, dans une scénographie minimaliste, un praticable incliné blanc et un jeu subtil de lumières, et une mise en scène reposant sur le jeu de l'acteur, trois excellents comédiens portent ce huis clos à son incandescence.
Jean-Pol Dubois est excellentissime dans la maîtrise de la palette des roueries de ce monstre de bêtise et de méchanceté organique, pitoyable et pathétique, qui joue autant de l'ascendance du père que du misérabilisme du vieillard malade. Catherine Anne incarne parfaitement une terrible fille au corps meurtri et à l'âme blessée, qui n'a pu se construire ou se reconstruire, et qui porte en elle, tel un foetus nécrosé, l'enfant mortifiée qu'elle a été. Entre eux, là encore en miroir un tiers, amant de la fille, interprété avec beaucoup de finesse par Hocine Choutri. |