Comédie de André Roussin, mise en scène Michel Fau, avec Léa Drucker, Pascale Arbillot, Pierre Cassignard, Michel Fau, Audrey Langle et Philippe Etesse.
Michel Fau, comédien et metteur en scène qui connaît ses classiques et l'histoire du théâtre contemporain, puise judicieusement dans le répertoire d'auteurs dramatiques à la notoriété établie en "exhumant" parfois des opus délaissés sinon oubliés dont la singularité attise l'intérêt du public et renouvelle le plaisir du jeu pour les comédiens.
Ainsi, après "Nono" de Sacha Guitry et "Demain il fera jour" de Henry de Montherlant, il a choisi "Un amour qui ne finit pas" de André Roussin, grand nom du théâtre de boulevard de l'après seconde guerre mondiale, et ce,pendant plusieurs décennies, opus dont le titre, contrairement à "La Petite Hutte", "Les Œufs de l'autruche", "Nina", "Lorsque l'enfant paraît" ou "La Mamma" qui ont fait les beaux jours de "Au théâtre ce soir", ne vient pas spontanément à l'esprit.
Cette partition, qui s'inscrit dans dans le registre du théâtre de la conjugalité, ressortit à la curiosité car l'auteur procède, à partir d'une intrigue marivaldienne, à une e hybridation des genres aussi singulière que réussi qui a sans aucun doute séduit Michel Fau.
En effet, André Roussin y dissèque avec une grande acuité psychologique, et sociale, les relations quadrangulaires de deux couples de petits bourgeois inaccomplis à défaut de progéniture aux prises avec les illusions et les désenchantements de l'amour.
Il décline, dans l'un, le vaudeville à la Feydeau avec ses personnages archétypaux de mari bas du front et imbu de ses prérogatives maritales et de femme sans tempérament pour qui le mariage est synonyme d'amour dès lors que l'époux subvient à ses besoins sans être ennuyeux, tout en pervertissant l'un de ses fondamentaux qu'est le fameux trio devenu quatuor, et, dans l'autre, la guerre des sexes à la Strindberg avec une satire grinçante de l'enfer conjugal.
Par ailleurs, cette "comédie vs drame" est menée sous la forme d'une comédie de boulevard, toutefois délestée de certains de ses codes, tels ceux du comique appuyé et des "portes qui claquent", et dont les dialogues ciselés évoquent ceux des comédies d'esprit à la Guitry.
Après une brève floraison, le couple de Jean et Germaine a pourri sur pied. Lui s'est dispersé en liaisons qui l'ont laissé d'autant plus inassouvi qu'elles sont désamorcées ou gangrenées par une épouse jalouse, inquisitrice, vindicative et manipulatrice dont les seules préoccupations consistent à écarter le spectre du divorce et écraser dans l'oeuf toute velléité de bonheur. Il aurait pu partir, il est resté et le couple fonctionne désormais sur le mode de de la danse de mort.
Malgré ces vicissitudes, en quête d'un amour idéal, absolu et éternel, un "amour rêvé" qui ne peut être ni altéré ni détruit, Jean, amoureux "claudélien" de l'amour plus que des femmes, propose une liaison unilatérale et platonique à une belle inconnue croisée dans un établissement thermal.
Celle-ci accepte mais en informe son mari qui s'en inquiète et qui, à son tour, en informe l'épouse de "l'amant". Ce qui aurait pu être un délicieux et mondain jeu de l'amour sans hasard va provoquer une collision dramatique.
Michel Fau monte la pièce avec sagacité dans son contexte contemporain du début des années 1960 dans un décor très graphique en noir et blanc à la Jean-Christophe Averty conçu par Bernard Fau qui divise le plateau en deux espaces scéniques en miroir, un côté déco, un côté cossu, ses costumes vintage ad hoc de David Belugou et la musique de scène originale composée par Henri Sauguet.
Il assure un direction d'acteur qui n'appelle pas de réserves et se manifeste même pour les rôles secondaires bien tenus par Audrey Langle dans le rôle de la double bonne, la gourde et la délurée, et par Philippe Ettesse dans une élégante composition de vieil inverti proustien.
En tête d'affiche, des comédiens aguerris à la scène, bien distribués en terme d'emploi, qui maîtrisent une partition délicate car faite de ruptures dont ils déjouent habilement les pièges et difficultés.
Michel Fau, également au jeu, campe parfaitement, et avec son sens de l'humour habituel et une remarquable sobriété qui tempère son appétence pour la déclamation baroque, celui par lequel le drame se noue et dont la sérénité découlant de son entrée en amour céleste déstabilise tous les autres.
Pierre Cassignard est parfait en mari impétueux et soucieux de ne pas porter la coiffe cornée face à Pascale Arbillot, délicieuse en robe style Courrèges et bottes vernies dont le jeu fébrile convient à son personnage de femme apparemment futile et ballottée par des événements et des hommes qui font fi de son auto-détermination.
Quant à Léa Drucker, parée des atours intemporels de la bourgeoise bcbg, tailleur chiné, chemisier col cravate, sautoir, escarpins bicolores et chignon bouclé, elle explose dans tous les sens du terme dans le rôle de l'épouse harpiesque.
Toujours sur le fil du rasoir de cette comédie acide, jubilatoire et cruelle, car comme l'auteur l'indique au détour d'une réplique "toutes les comédies sont des drames", même si, en l'espèce, il n'y a pas mort d'homme, et qu'il conclut par une pirouette, cet irrésistible quadrille oeuvre dans une belle synergie chorale qui ravit. |