En septembre 2013, Yann Moix "accouchait" du volumineux opus "Naissance" dont la taille constituait, à l'aube estivale, un terrible devoir de vacances pour les journalistes culturels plus spécifiquement attachés à la littérature et un défi de taille pour la conscience professionnelle des éminents critiques dont certains avaient renoncé à une lecture in extenso, voire à sa lecture tout court.
Deux ans après, c'est au printemps que paraît son nouveau rejeton intitulé "Une simple lettre d'amour", qui, en regard, fait étique figure avec ses 140 "petites pages", soit un dixième de son aîné, ne laissant donc aucune échappatoire aux susvisés.
Sans doute cette introduction à métaphore génitrice paraît quelque peu moqueuse à l'égard d'un écrivain qui reprend très sérieusement à son compte la détestation gidienne de la famille et des enfants, encore qu'il se déclare totalement insensible à la critique comme au compliment et donc, sans doute, aux traits d'humour, qui constitue une des antiennes moixiennes.
Une seconde, résultant également d'un emprunt, est celle de la phénoménologie proustienne du temps. Et, jamais deux sans trois, la troisième tient, à travers ses ratiocinations sur l'amour, le sexe, le couple et le mariage, à l'impossible dépassement du schéma cosmogonique bourgeois avec sa devise "sexuation du monde-machisme-hétérosexualité" chapeautée par la "théorie" de la différenciation sexuelle du psychologue-essayiste américain John Gray dont le titre, "Les hommes viennent de mars, les femmes de Vénus" a fait florès.
Présentée comme une lettre pour le moins atypique, lettre de rupture et ode à un amour défunt phagocytées par un empilement de soliloques ponctués de sentences, syllogismes et aphorismes, traduisant l'appétence du scripteur pour les jeux et mots d'esprit et, par ailleurs estampillée "roman", cet opuscule est qualifié par celui-ci, lors des interviews, de "coming out" dont la finalité est de révéler sa turpitude.
Yann Moix connait ses classiques, dont le mot fameux de Gide selon lequel "on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments". Alors vérité, autofiction, vie rêvée ou provocation ?
La question n'est pas que clause de style pour un écrivain doublé d'un trublion écrivain qui, s'il était une substance serait assurément du poil à gratter tant il s'emploie à déranger et subvertir, voire polémiquer et qui écrit : "De la naissance à la mort : c'est l'intervalle qu'on m'a donné pour écrire. C'est une immensément même chose qui chaque matin recommence : au lieu de la vivre, je me dissimule sous les pages surréalistes, maladroites, biffées, morbides - excitées".
A défaut de sainteté, pour le passé du moins, une radicale reconversion vers l'abstinence vertueuse n'étant pas exclue pour un personnage qui, en un autre temps aurait pu être un extatique et un mystique adepte de la mortification, il s'est attaché, "encouragé" par son pouvoir de séducteur et l'absence de résistance de ses proies ("Je n'ai pratiquement connu que des succès") à être le grand et vil fornicateur qui, précise-t-il, pourrissait tout ce qu'il touchait.
Et voilà qu'à l'approche de la cinquantaine, il se livre à l'exercice de la confession publique, émaillée d'une terminologie de catéchisme, avec une savante complaisance qui sent moins le soufre que le mal-être.
Se comporter en parfait salaud envers les femmes ne traduirait-il pas une tragédie métaphysique, celle d'avoir été enfanté par une femme, être sorti d'un "trou" corporel fut-il poétiquement nommé l'origine du monde, de ne pas s'être enfanté lui-même, donc de ne pas être Dieu, d'où son attachement à la puissance du Verbe ?
Et, à défaut de destin christique, se décrire comme un concentré de tous les défauts, à l'exception du cynisme, de la radinerie et de la lâcheté, stigmates de sa déchéance, peut-il s'entendre comme la quête de l'absolution et de la rédemption de l'homme ?
Une nouvelle fois, la plume de Yann Moix frappe fort avant que son acuité verbale ne s'exerce en tant que critique à la rentrée télévisuelle 2015 dans l'émission "On n'est pas couché" dans laquelle il succèdera, dixit, au "spécialiste de l'agro-alimentaire" Aymeric Caron. |