Réalisé par Ben Wheatley. Grande-Bretagne. Drame fantastique. 1h59 (Sortie le 6 avril 2016). Avec Tom Hiddleston, Jeremy Irons, Sienna Miller, Luke Evans, James Purefoy, Keeley Hawes, Peter Ferdinando et Sienna Guillory.
"High Rise" de Ben Wheatley est l'adaptation d'un roman majeur de James Graham Ballard, "IGH" (Immeuble de Grande Hauteur).
Comme d'autres romans du même auteur, "Crash", adapté par David Cronenberg, "Sécheresse" ou "La forêt de cristal", "IGH" a été rangé abusivement dans les rayons SF des librairies françaises.
On pourrait plutôt considérer les livres de J.G. Ballard comme des fictions de prospective écologique. L'écrivain anglais y pousse jusqu'à l'extrême les dérives consuméristes. Dans "IGH", il imagine un monde où les élites habitent dans des immeubles de plusieurs dizaines d'étages, mondes en soi, quasi autonomes, avec supermarchés, salles de spectacles ou de sport, piscine er restaurant.
Mais cette agrégation de gens appartenant aux milieux dominants suscite l'exacerbation de ce qui caractérise les classes supérieures dans les années soixante-soixante dix du siècle passé : l'envie de jouir. Jouir du pouvoir : qui va dominer les dominants ? Jouir des corps : entre machisme et féminisme, sexe débridé et frustrations, comment va exploser la sexualité de tous ces lecteurs de Marcuse et de Reich dans cette Tour où ils vivent de manière endogamique ?
Ben Wheatley a donc décidé d'adapter avec Amy Jump, sa scénariste préférée et sa femme, un roman très daté dans l'époque post-soixante-huitarde.
C'est sans doute ce qui les oblige à devoir recréer un "futur du passé" très identifié. Il faut reprendre les éléments des années 1960 et 1970 les plus marquants (voitures de sport, vêtements très Vivianne Westwood) et les prolonger dans ce qui aurait pu être leur futur si Ballard avait totalement vu juste.
Cela conduit Ben Wheatley à s'inspirer de l'univers décalé de "Modesty Blaise" de Joseph Losey plus que de celui de "Blow up" d'Antonioni. L'univers qu'il décrit est ainsi plus "psychédélique" que celui du roman de Ballard.
Le personnage principal, le Docteur Laing, incarné avec énergie par Tom Hiddleston, est plus proche des héros de Michael Moorcock, comme le fameux Jerry Cornélius, que du modèle d'origine d' "IGH". Il est snob, élégant et pervers, donnant au film quelque chose de très distancié.
La thèse de Ballard, expliquant comment ces riches "civilisés" vivant entre eux, vont peu à peu en revenir à la barbarie totale, devient dès lors une espèce de fantasme esthétique plutôt qu'une réalité sociologique.
Cette distanciation conduit le film à bifurquer vers un monde ressemblant à celui de "Métropolis". La tour infernale, où l'anthropophagie, les crimes rituels et les perversions règnent à tous les étages, s'organise dans une lutte entre les étages inférieurs et supérieures. Pendant que l'on s'affronte en bas, règne en haut, dans l'Olympe de la tour, Anthony Royal, le concepteur de cet "IGH", évidemment somptueusement interprété par Jérémy Irons. Le Docteur Laing, représentant les étages médians, va donc partir à la conquête du sommet de la tour.
Dans le monde post-industriel, la lutte des classes n'est vraiment pas morte, mais elle s'exerce entre publicitaires, réalisateurs télé, sociologiques, homme d'affaires et universitaires.
En l'exagérant, en le rendant plus caricatural et en même temps plus spectaculaire, "High Rise" de Ben Wheatley réussit finalement à ne pas être très loin de la pensée de Ballard. Contrairement au dernier film de Terry Gilliam, "Zero Theorem", qui fonctionnait sur le même principe d'un avenir futuriste procédant d'une époque passée, le film est cohérent et ne se perd pas en explications faussement métaphysiques.
Les aventures des habitants de cet Eden devenant Enfer se suivent sans déplaisir et avec l'envie permanente d'en revenir à Ballard, ce grand créateur sardonique de futurs cauchemardesques.
Malgré son titre trop obscur, Il faut donc escalader promptement cet "High Rise" de Ben Wheatley. |