Evocation biographique conçue et mise en scène par Hélène Zidi, avec Lola Zidi et Hélène Zidi.
Suicidée de la société à l'instar de Artaud ou Van Gogh, sacrifiée par sa famille au nom de l'ordre petit-bourgeois et du culte du génie mâle, Paul Claudel qu'elle appellait "son petit Paul" et qui, cyniquement, écrira "J'ai abouti à un résultat, elle n'a abouti à rien", effacée du monde des vivants par trente années d'internement psychiatrique, comme de celui des morts, la dépouille jetée dans une fosse commune, Camille Claudel est devenue une héroïne tragique souvent portée au théâtre.
Avec "Camille contre Claudel", la comédienne et metteuse en scène Hélène Zidi propose un opus singulier, au fond comme en la forme, qui se démarque non seulement en évitant de se focaliser sur la période asilaire et l'incarnation tant psychotique que victimaire du personnage mais en écartant tant l'approche compassionnelle que le mode du portrait éclaté.
A partir de la correspondance fragmentaire de Camille Claudel, elle a conçu une partition à deux personnages, judicieusement ni hagiographie ni pièce à thèse, qui ressort au biopic autobiographique tout en se développant comme un dialogue intérieur schizophrénique, de surcroît, en rupture avec la linéarité chronologique.
En effet, elle y substitue un audacieux, et réussi, télescopage temporel entre le rêve qui se délite de la charnelle "Mademoiselle Camille Claudel" et la rétrospection cauchemardesque de "la folle de Montdevergues" pour évoquer les composantes de l'effondrement psychique qui va conduire à la décompensation par l'alcoolisme et la paranoia.
Ce qui permet d'évoquer le destin d'une femme née trop tôt, qui ne s'est pas cantonnée aux arts d'agrément dévolus à la gent féminine mais a investi le pré-carré séminal de la sculpture, et minée par la quête d'un amour maternel toujours refusé et une vie placée sous le signe de deux "folles" passions, celle pour son art et celle pour Rodin, figure ambivalente de père, du Maître et de l'amant.
Dans un décor d'atelier, scénographie sobre de Francesco Passaniti et belles lumières de André Diot, se livre un bouleversant corps-à-corps qui tient du pas de deux dont la crédibilité du procédé est renforcée par la ressemblance physique mère-fille des deux interprètes.
Et le duo fonctionne dans en parfaite osmose. Dans la plénitude de sa jeunesse, Lola Zidi apporte la sensualité, la fougue et la fragilité du romantisme échevelé à la belle et rebelle Camille. Hélène Zidi livre une incarnation puissante au naturalisme maîtrisé de la femme qui, de la psychose à l'égarement, remonte le fil du temps pour éclairer celle qu'elle fût.
Du bel ouvrage. |