Drame d'après l'oeuvre éponyme de August Strindberg, mise en scène d'Elisabeth Chailloux, avec Anne Cressent, Pauline Huruguen et Yannik Landrein.
Tout a sans doute été dit et écrit à propos de "Mademoiselle Julie", une des oeuvres emblématiques et multireprésentées du dramaturge suédois August Strindberg, qu'il qualifiait de "tragédie (supra)naturaliste" et irriguée de symbolisme, placée sous le signe de la lutte, lutte des classes, des sexes et des cerveaux, ordonnée autour de la dialectique maître/valet.
La metteuse en scène Elisabeth Chailloux résume l'intrigue comme mettant "bout à bout, sur un rythme précipité, une danse de séduction, le combat entre Jean et Julie, un tabassage psychologique, un casse (le bureau du comte est dévalisé), une tentative d’évasion, la mise à mort d’une bestiole et une fin hallucinée" pour retracer "l’histoire d’une femme qui vit son désir", donc celle du prototype de la femme moderne dont l'émancipation se heurte encore à nombre de résistances.
Or, le personnage-titre construit par Strindberg est une chimère hybridant une hystérique, au sens de la psychiatrie balbutiante du 19ème siècle, assaillie par la libido et une victime du "fatum" qui n'était pas encore qualifié de traumatisme de transmission intergénerationnelle souffrant de surcroît d'un déficit de force de caractère pour assumer l'éducation imposée par une mère à la vocation ratée d'amazone.
Mademoiselle Julie va donc "jouer avec le feu", expression-titre d'un autre opus de Strindberg, dans une entreprise auto-destructrice comme seule issue possible à un conflit et des tensions internes insurmontables.
Cela étant, Elisabeth Chailloux propose une nouvelle écriture parsemée de locutions anglo-saxonnes avec une recontextualisation à l'ère des téléphones portables génératrices d'anachronismes en raison de la portée différente au 21ème siècle et dans le cadre des relations intimes des notions de honte, déshonneur, humiliation et mésalliance liée à la transgression morale ou/et sociale.
La partition se déroule dans la cuisine d'une demeure nobiliaire, décor incontournable en l'espèce élaboré de manière minimaliste par Yves Collet et Léo Garnier, dans un huis-clos délétère sous la censure morale de la cuisinière, figure rigoriste sûre de sa foi comme des valeurs ancillaires et de son désir de s'élever au dessus de sa condition, parfaitement interprétée par Anne Cressent.
Tel un papillon égaré dans la nuit voletant autour d'une torche, Pauline Huruguen campe la pauvre petite fille riche, belle, cultivée et bien née, qui tente désespérément de dresser les hommes comme des chevaux à coup de cravache pour son ex-fiancé et de claquement de doigts pour le valet.
En charge de ce rôle, Yannik Landrein parvient à en restituer la paradoxalité paralysante entre soumission au déterminisme social et ambition de s'en délivrer.
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