Voilà un ouvrage plutôt troublant que j’ai eu a chance de me procurer, édité chez un éditeur suisse et écrit par un auteur suisse que je découvre. Philippe Testa est né à Sion et poursuit un travail d’écriture dont l’axe central est l’exploration des désenchantements contemporains. Avec L’obscur, son dernier ouvrage, l’auteur a fait le choix de s’écarter du présent pour mieux le transposer et l’accentuer dans une anticipation dystopique.
L’obscur, c’est l’histoire d’un monde en pleine ébullition. L’obscur, c’est aussi une Europe plongée de plus en plus souvent dans le noir, du fait de pannes d’électricité de plus en plus fréquentes, alarmant les populations. Privés pendant quelques heures de la lumière et des commodités technologiques, les humains ont tendance à s'enfoncer dans une lente détresse. Alors que les derniers fusibles de l'ordre social vacillent, l’obscurité gagne du terrain et révèle par contraste ce qu’une société de la compétition cannibale produit de plus saillant.
Passées les premières pages qui m’ont beaucoup dérouté (notamment du fait de l’utilisation de néologismes et d’anglicismes), le narrateur nous dévoile l’état d’un monde dans une période future et lointaine qui, au final, s’avère n’être pas si loin de l’actuelle. Le narrateur nous décrit une société ultralibérale qui s’est imposée avec un monde du travail qui fonctionne autour de néologisme et d’anglicisme.
Les riches et ultrariches dominent le monde, laissant au reste de la société les miettes de leur enrichissement. Ces derniers n’ont d’espoir que dans la révolte pour contrer cette hiérarchie marquée par des profondes inégalités. La contestation monte, prenant des formes parfois et de plus en plus radicales.
A cela, s’ajoutent des coupures d’électricité, d’abord brèves et ponctuelles, puis de plus en plus fréquentes mais aussi des pénuries de ressources agricoles, des licenciements de masse du jour au lendemain et des sociétés qui supportent leur misère en prenant de plus en plus de médicaments. Les séniors les plus riches partent s’expatrier hors d’Europe vers des résidences sécurisées dans les pays pauvres, c’est le cas des parents du narrateur partis au Kenya.
On suit en parallèle l’histoire du narrateur et celle du monde et de la société qui l’entoure. Marvel vit à Lausanne, passe ses journées de repos au bord du lac Leman. Mathématicien confirmé, il est atteint d’un trouble du spectre autistique. Marvel ne trouve sa place nulle part, son travail l’intéresse peu et sa relation aux autres se limite à son copain Moro depuis que sa compagne Pia l’a quitté. Solitaire, il dévoile une analyse distanciée sur le monde dans lequel il vit et la situation de chaos qui se met en place. Inadapté à cette société, c’est grâce à cette inadaptation qu’il va devoir son salut.
Ce qui est assez troublant dans la lecture de cet ouvrage vient du fait que le monde qui y est décrit ressemble beaucoup à celui dans lequel on baigne, même s’il dévoile une situation aggravée par rapport à la nôtre. On imagine que notre société pourrait très rapidement dévier vers celle que nous présente l’ouvrage, ce qui paraît extrêmement dérangeant.
Je ne suis pas sûr que la lecture de ce livre et son histoire étaient la lecture idéale pendant ce temps de confinement tant il peut y renvoyer. Elle s’avère maintenant être plutôt adaptée au déconfinement tant elle pourrait nous faire réfléchir à la société que nous voulons mais surtout celle que nous ne voulons plus, en espérant que nos pouvoirs politiques sauront y réfléchir et analyser cette situation inédite que nous avons vécue. |