Dans les années 50, la région de Vallauris voit se constituer une sorte de colonie informelle d’artistes et non des moindres, tels Picasso, Matisse et Chagall, qui se passionnent pour la céramique alors en vogue.
Picasso et Chagall : deux monstres du 20ème siècle qui s’estimaient mais dont les egos se toisaient avec circonspection. Ils ont partagé le même atelier de poterie "Madoura" de Georges et Suzanne Ramié en évitant de s’y croiser.
Et aujourd’hui, le Musée Picasso de Vallauris accueille Chagall avec une superbe exposition "Marc Chagall et la céramique"organisée par les villes de Vallauris et de Roubaix et le musée d'Art moderne de Céret.
Après deux déracinements qui lui ont brisé le coeur, Chagall découvre la magie de la terre du Midi et l’art de la poterie.
L’œuvre sur céramique de Chagall est peu connue faut d’avoir été exposée de manière exhaustive et l’attachement de ses petites filles quant à la diffusion de son oeuvre a permis de concevoir une exposition qui revêt un caractère exceptionnel.
Exceptionnel
en raison du nombre de pièces ainsi réunies, qui sont des oeuvres uniques, dont certaines, par ailleurs, comme le service de mariage crée par Chagall pour le mariage de sa fille, étaient d'ordre privé, et dont la plupart n'avaient jamais été exposées.
La luminosité de la terre et l'épreuve du feu
Chagall ne s’inscrira jamais dans une dynamique de production de céramiques, puisque toutes ses créations sont uniques, et qu’il était intéressé non par la simple déclinaison de ses œuvres sur un nouveau support mais par la création approprié à un nouveau matériau ainsi que l’attestent les expérimentations auxquelles il se livrait, notamment les superpositions de matières, les cuissons successives et la pratique de la céramique murale.
Sur la céramique, il met son expérience de peintre et de graveur au service de la sculpture pour créer des peintures en relief, puis en 3 dimensions, et celle de coloriste à l’épreuve du feu dont il ne maîtrise les effets ni sur la matière ni sur les pigments.
A cet égard, il est émouvant de voir exposées les les palettes de couleurs que l'atelier lui avait confectionné pour lui permettre d'identifier les couleurs.
Par ailleurs, même si l’intérêt de Chagall pour ce support, dont l’arrêt fut aussi brutal que son début fulgurant, a été relativement limité dans le temps, avec une courte période de création intensive, les commissaires de l’exposition, Sandra Benadretti Pellard, Bruno Gaudichon et Joséphine Matamoros, n’ont souhaité l’isoler de l’ensemble de son œuvre picturale et y ont donc associé des toiles significatives comme "Les Pâques"
Le peintre-potier, donner à voir et à toucher
L’exposition s’organise autour de la dualité chagalienne, le profane et le sacré. Au rez-de-chaussée, dans une présentation sobre et élégante qui transforme les contraintes de la salle voûtée en élément scénographique, l’amour, la femme et le bestiaire.
On retrouve tous les thèmes chers à Chagall qu'il réinvente pour les inscrire dans la terre de manière très expressive. Même si, au début, il travaille sur des formes utilitaires simples et typiques de l arégion, comme les plats et les assiettes, il ne se contente déjà plus du pinceau et ne cède pas à la tentation du décoratif.
Les contours du support induisent les formes qui correspondent à son imaginaire et le travail manuel de cette matière organique lui inspire manifestement une sensualité accrue que l’on retrouve dans les nus ("Nu aux bras levés", "Deux femmes", "Le matin").
Il y éprouve ses thèmes récurrents, la femme, le bestaiire, les fables, la mythologie biblique, avec une palette qui va s'enrichir des couleurs fruit du hasard de la flamme.
Très vite, il passe au vase qui se présente comme une peinture en 3 dimensions ("Le songe d'une nuit d'été") et au travail en ronde bosse pour créer des vases anthropomorphiques ("Vase sculpté").
Véritable prélude à la sculpture, il y greffe animaux et personnages ("Les amoureux et la bête", "Le paysan au puits"), mais ceci est une autre histoire.
L’étage, volume blanc dépouillé et monacal, est consacré à la thématique biblique, domaine de prédilection dans lequel il va travailler la composition sur céramique murale ("La création de l'homme"), passant du carreau à la fresque murale.
Une exposition riche et précieuse qu'il serait impardonnable de rater. Sessions de rattrapage pour ceux qui ne pourraient se déplacer : à Roubaix d'octobre 2007 à janvier 2008 et à Céret de février à mai 2008.
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