Nouvelle
année, nouveau millésime pour les Master Classes
de Jean-Laurent Cochet qui ont adopté
un rythme de croisière qui séduit toujours le
public de fidèles et fédèrent de nouveaux
venus qui découvrent à la fois les vicissitudes
et les bonheurs de l'apprentissage du métier de comédien.
Pour le Maître, l'année 2008 a été
effervescente et, connaissant son credo, une vie consacrée
au travail, 2009 sera, à ne pas en douter, tout aussi
fertile en événements théâtraux.
Nous voici donc à nous reçus dans l'atmosphère
feutré et studieuse de son salon de musique-bibliothèque
pour jeter un dernier regard à l'année écoulée
et deviser sur les rendez-vous de janvier.
Les jeunes comédiens de demain
Notre dernier entretien a eu lieu en novembre 2008 et beaucoup
de choses se sont déroulées depuis, à commencer
par la Master Classe à destination des professionnels
qui s'est déroulée le 8 décembre 2008.
Quels retours avez-vous eu tant des élèves sélectionnés
pour cette première et que des professionnels que vous
aviez invités ?
Jean-Laurent Cochet : Ce n'était pas
réellement une Master Classe puisque je n'envisageai
pas de faire travailler les élèves selon le principe
des master classes qui est de faire assister le public à
un cours qui, en principe, est privé. En l'occurrence,
compte tenu du nombre de plus en plus grand d'élèves
de qualité qui s'inscrivent à mes cours, mon agent,
Laurent Grégoire, et Pierre Delavène, directeur
du Cours, ont soulevé cette question tenant au fait que
nous ne faisions jamais d'auditions et de la visibilité
des jeunes comédiens et que nous pourrions envisager,
en fin d'année, de présenter à certains
professionnels les meilleurs éléments dont on
pense qu'ils sont prêts jouer sur scène. Ils ont
organisé cet événement et, grâce
à Laurent Grégoire, nous avons pu faire venir
un maximum de castings et d'agents qui ont été
d'ailleurs ravis.
J'ai donc présenté un échantillonnage,
une farandole de scènes prévues, c'est-à-dire
travaillées par les élèves en vue de cette
présentation, sans isoler leur passage scène par
scène mais en préparant l'enchaînement des
scènes, un peu comme un spectacle, pour en donner une
vision d'ensemble, en essayant de les mettre en relation, même
s'ils elles n'avaient pas vraiment de lien entre elles, chacune
pouvant relancer le parcours d'ensemble. Les élèves
ont été très heureux de ce projet et ils
l'ont préparé en étant formidables d'attention,
comme ils le sont en ce moment, dans le travail, dans l'écoute,
dans la bonne volonté, tout cela avec un bon esprit qui
règne au cours.
Les professionnels n'avaient, bien entendu,
jamais vu un tel spectacle quand on les invite dans les cours.
J'étais présent sur le plateau, comme dans les
Master Classes, pour rester dans l'esprit de celles-ci, un esprit
non pas scolaire mais d'éducation, ce qui me permettait
d'intervenir en disant un mot de temps en temps et en favorisant
les enchaînements. Les gens ont été vraiment
ravis. Bien évidemment il ne faut pas s'attendre à
ce que, dès le lendemain, on les engage, le but étant
faire connaître dans le métier à un moment
où ils ne sont pas encore entrés dans le métier.
Malgré ça, il y a eu immédiatement des
castings qui ont voulu rencontrer certains d'entre eux et, en
particulier Marina Cristalle, Axel Blind et Jean-Laurent Silvi
qui avaient donné la fameuse scène de "La
jument du roi" de Jean Canolle. Il faudra revenir sur ce
point. Et puis cet élève absolument délicieux
que j'ai fait venir de Vendée – Romain Trichereau
- qui a passé le "Didier" de Péguy et
qui a été très éblouissant de fraîcheur.
Dans l'immédiat cela a permis que certains
d'entre eux rencontrent les professionnels. C'est donc toujours
profitable car c'est un métier fait de réseaux
ou de relations. C'est comme les gens qui me disent : "Vous
n'utilisez que vos amis !". Bien oui, au gré de
ma vie et de ma carrière, que ce soit maintenant des
jeunes que j'ai avec moi ou des gens de cinquante ans pour les
autres emplois, je choisis de préférence ceux
avec qui j'ai le plus travaillé; mais, on peut toujours
arriver à glisser quelqu'un et à renouveler avec
du sang neuf.
C'était une très belle soirée,
certes pas facile, et j'étais très content d'eux,
très fiers d'eux. Nous avons commencé avec un
exercice risqué, un exercice de haute voltige que j'ai
présenté plusieurs fois au cours des Master Classes,
qui consiste à prendre une scène, un monologue
en principe, que l'on fait dire par plusieurs élèves
qui savent tous le texte mais sans savoir, pas davantage que
moi, quand chacun devra intervenir à l'appel de son prénom
en enchaînant sur la phrase ou le vers que le précédent
est en train de dire. C'est un personnage choral qui est très
difficile à réaliser car il faut une qualité
d'écoute, d'attention, de vigilance étonnante
- ce qui est la base de notre métier - et ce soir-là
ils l'ont merveilleusement réussi.
Jusqu'à la veille j'étais un
peu inquiet car si une chose comme cela rate, ce n'est pas la
peine de continuer la soirée. Mais là, les gens
sont séduits par ce principe, cela entraîne des
sourires, puis ils entrent dans le jeu. En l'occurrence, il
s'agissait d'une scène de "Les fâcheux"
de Molière avec des garçons remarquables avec
de bons physiques et de bonnes voix et très différents
d'emploi. Et tout le reste de la soirée s'est très
bien déroulé.
Rebondissons immédiatement sur "La jument du roi".
Jean-Laurent Cochet : Oui. Cet extrait a été
donné par Marina Cristalle, Axel Blind et Jean-Laurent
Silvi, Les trois élèves - ils restent des élèves
parce qu'ils travaillent avec moi - c'est la moindre des choses
comme les danseurs étoiles continuent à travailler
le matin à leur barre avec leurs maîtres, même
si ce n'est pas si fréquent que ça. Tous trois
sont mes assistants au cours et je leur ai suggéré
un jour de travailler ensemble un extrait de cette pièce
de Jean Canolle qui avait été écrite pour
la compagnie Fabbri, donc une pièce avec énormément
de personnages sur l'histoire d'Henri VIII et de Anne de Clèves,
la seule femme qu'il n'ait pas occis, avec qui il a même
gardé des relations fraternelles.
Monsieur Jean Canolle, qui est aujourd'hui
un homme assez âgé, est un très bon auteur
dramatique et avait écrit, dans un joli français,
des pièces de qualité mais s'est surtout fait
connaître par les triomphes qu'il avait eus en étant
un des premiers à écrire des feuilletons à
la télévision comme "Le temps des copains".
Il a été ravi du projet et surtout de l'arrangement
proposé car nous ne pouvions pas garder la structure
initiale en tableaux avec des bals à la cour. Nous avons
donc gardé les personnages centraux qui sont au nombre
de 7, et, à mon avis, la pièce en est beaucoup
plus forte ainsi. Ils ont d'abord travaillé la grande
scène dite "des blasons" qui est devenue une
scène classique. Le rôle de la reine avait été
créé par Sophie Desmarets, qui s'était
jointe à Fabbri, puis repris par Françoise Seigner
dont ça a été un des très grands
rôles et dans lequel elle était d'ailleurs sublime.
Je leur ai donc dit que maintenant qu'ils étaient
en état et en qualité de se présenter comme
Arnaud Denis l'a fait avec ses spectacles en créant sa
compagnie. Il arrive un moment où on est en état
de faire son métier et c'est chacun selon son tempérament.
Ils ont retenu cette suggestion et m'ont demandé si je
voulais faire la mise en scène. Je leur ai dit non parce
que ce devait être un travail personnel et que si l'un
d'entre vous vous dirige, en l'occurrence Jean-Laurent Silvi,
il le fera selon les normes de ce qu'il a appris au sein de
mes cours. Ils ont donc monté cet arrangement de la pièce
de belle manière, en cernant très bien la situation
et ce qu'il y avait de meilleur dans chaque personnage. Marina
Cristalle joue donc le rôle central avec six garçons
autour d'elle. Non seulement des élèves du cours
mais aussi tous ces gens qui sont venus s'inscrire au cours
du samedi et au cours du soir pas dans l'intention de faire
ce métier mais pour continuer d'entendre des choses telles
que je les dis au cours publics.
Tous ceux là ont également créé
un groupe admirable avec de l'amitié qui circule entre
eux et les plus jeunes et c'est parmi eux qu'on a trouvé
les comédiens de 40 ans ou plus qui étaient nécessaires
dans cette pièce pour des rôles qui ne pouvaient
pas être joués par des jeunes. Ils ont tous fait
un travail remarquable. C'est un extrait qui a donc été
présenté le 8 décembre 2008 et, dès
le lendemain, des castings demandaient un enregistrement en
cassette pour le présenter à des professionnels.
Ils ont également présenté la pièce
un après midi au Vingtième Théâtre
pour une représentation devant des professionnels et
ils ont été engagés pour jouer la pièce
cet été au Festival de Vendée, au Château
de Terre-Neuve, dont j'avais amené la responsable. Au
cours de ce festival, je ferai ma carte blanche (ma soirée
d'histoires de théâtre), Fabrice Luchini, ancien
élève célèbre, viendra faire deux
soirs de suite son spectacle et les nouveaux élèves
pas encore connus du public monteront sur scène avec
"La jument du roi".
Donc,
le 8 décembre 2008, ils l'ont joué et c'est merveilleux
quand on s'aime, quand on se connaît, on s'aide. Et j'ai
parmi mes amis une femme qui est habilleuse, et qui est mon
habilleuse pour la tournée de "Aux deux colombes",
qui a travaillé longtemps au Théâtre de
Compiègne, sublime théâtre Napoléon
III, que dirigeait Pierre Jourdan qui y montait des opéras.
Il vient de mourir, hélas, mais son successeur a eu la
grande gentillesse de leur prêter tous les costumes, ce
qui est une économie non négligeable pour une
jeune compagnie.
De plus, ce sont des costumes sublimes parce
qu'il montait des opéras avec la spécialité
de ne monter que des opéras français, ce qui est
déjà original, de la toute fin du 18ème
siècle et surtout du 19ème avec tous les auteurs
comme Aubert, Meyerbeer, des pièces très riches,
pour lesquelles il faut de très belles voix, qu'on ne
joue quasiment plus jamais, et il avait monté un Henri
VIII. Ce qui leur a permis de montrer leur travail avec quelques
accessoires et surtout en costumes.
J'en suis ravi pour eux car c'est un baptême
extraordinaire. Après, il faudra jouer ce spectacle plusieurs
fois et commencera la tournée des théâtres
et le travail de prospection. Comme de tous temps, mais, auparavant,
on prospectait pour soi, à titre personnel et individuel,
ce qui n'est plus possible aujourd'hui à moins d'être
fait pour devenir une star comme Depardieu, ce que l'on voyait
dès 16 ans et demi. Il faut présenter des projets
d'ensemble. Tout ce travail qu'ils vont faire, et qu'a fait
avant eux Arnaud Denis en quittant le cours, me donne un immense
espoir pour leur travail en commun.
Ils présentent ce projet avec la Compagnie de la petite
comédie créée par Jean-Laurent Silvi qui
a monté "Monsieur de Pourceaugnac" qui s'est
joué au Théâtre du Nord-Ouest ?
Jean-Laurent Cochet : Oui. Quand Jean-Laurent
m'avait informé de ce projet, je le lui avais déconseillé
car il s'agissait d'une entreprise hasardeuse. Il s'agit d'une
comédie ballet, farce et méchante, dont on se
demande quelles sont les parties écrites par Molière
car c'est très curieux. Il s'est entêté
- et il a bien fait - et a présenté ce projet.
Jean-Luc Jeener qui présentait un cycle Molière
au Théâtre du Nord-Ouest les a pris et ils ont
joué 40-50 représentations dans ce lieu. C'est
un spectacle plein de fraîcheur et c'est ce qui a de bien
chez tous ces jeunes, quand ils ne se prennent pas au sérieux,
quand ils ne réinventent pas le monde et Shakespeare
comme s'ils l'avaient connu ; c'est cette spontanéité
si bien que, s'il y a quelques réserves à faire,
c'est dans la joie et la fête.
Vive l'an neuf !
Sont venues ensuite la période des fêtes et le
Nouvel An. Quelles sont vos bonnes résolutions et vos
projets pour 2009 ?
Jean-Laurent Cochet : D'abord de ne plus tomber
car entre Noël et le jour de l'an j'ai dû chuter
quatre fois (rires). Mais c'est bien parce que cela oblige à
se surveiller un peu davantage et à voir ce qui reste
du danseur qu'on n’a jamais été. Les résolutions
: on continue. En Vendée, cela se passe de mieux en mieux
chaque saison. Il y a là aussi un éclatement des
consciences et ce ne serait pas à moi de le dire, mais
comme disait Cocteau "Si ce n'est pas moi, qui ?",
les gens viennent en permanence me remercier, et pas seulement
les dames de 55 ans qui nous ont rejoint à Paris après
avoir lâché leur travail pour commencer leur vie.
L'autre jour une petite jeune fille de 17 ans
et demi, qui s'était présentée il y a 2
ans et que nous avions pris de justesse à l'audition
pour les cours - elle était mignonne et ravissante mais
elle ne savait rien - elle a tellement bien travaillé
en deux ans qu'elle peut commencer à jouer sur scène
demain. Et à la fin du dernier cours, elle m'a pris dans
ses bras en me disant ! "Vous avez changé ma vie
!". C'est très émouvant et formidable car
un cours n'est pas pour voir si maintenant tu vas pouvoir faire
du théâtre mais si tu en fais, n'oublies pas que
c'est pour atteindre autre chose. C'est l'épanouissement
de l'individu.
Et il y a beaucoup d'hommes, surtout plus âgés,
les femmes sont moins téméraires car elles redoutent
vers quoi cela peut les entraîner. Et des hommes qui ont
socialement tous professionnellement pignon sur rue et qui me
passent des scènes avec une humilité et une docilité
incroyable car sur le plateau j'oublie leur origine et je leur
dis : "Tu parles comme un cul !". Et ils sont ravis
de retourner à l'école. La plupart sont intelligents,
ne serait-ce parce qu'ils ont voulu faire ça, et ça
donne des résultats formidables. Ainsi un d'entre eux
m'a passé Arnolphe et je ne pensais pas trouver un tel
Arnolphe dans mon cours. Cela les enrichit et les épanouit
car ils parlent d'eux en oubliant la brochure. Il faut faire
son texte avec ses mots, ce que faisaient naturellement les
comédiens auparavant jusqu'à une époque
où j'avais une vingtaine d'années. Ensuite ça
s'est dégradé et il est temps qu'on y revint.
C'est le secret. On lit la pièce et
on ne pense pas à la jouer avec les mots de l'auteur
car ce serait chercher à la jouer bien. C'est le grand
secret de l'interprète : on fait ses mots et ce n'est
pas de l'improvisation idiote où on fait semblant de
porter une grosse valise alors qu'elle est vide car ce n'est
pas ça qui leur fera jouer Phèdre quand il faudra
en arriver au verbe. Mais l'improvisation partant de la respiration.
Quand on dit à quelqu'un "Faites votre texte",
rien que la surprise et l'inattendu leur fait prendre conscience
de la zone respiratoire où ils se mettent à essayer
de penser. Immédiatement, ils comprennent respiration
et pensée, les mots leur viennent et quand il s'agit
de mots un peu trop modernes on rectifie.
Nous l'avions fait avec des enfants de 6-7-8
ans quand le Ministère de la jeunesse et des sports nous
l'avait demandé et, en un après midi, après
leur institutrice qui leur fait ânonner "Le corbeau
et le renard" sans qu'ils comprennent ce qu'ils racontent,
on leur a demandé de faire leur texte avec leurs mots
et, immédiatement, ils ne peuvent que parler juste parce
que notre enseignement suit des lois naturelles. Ils découvrent
immédiatement la note unique que d'autres mettent 60
ans à ne pas comprendre. Avec les derniers élèves
arrivés en septembre 2008 à mon cours, doués
de qualités et, n'ayant pas travaillé ailleurs,
il n'y a pas à les décrasser, je n'ai jamais vu
un tel progrès en 3-4 mois, ce qu'auparavant des gens
auraient fait en 3 ans d'études. Immédiatement
c'est un révélateur pour eux qui entretient les
esprits et les échanges entre eux.
Mes
projets, c'est de continuer à travailler sur ces bases
et, comme j'ai de nombreux projets pour les mois qui viennent
avec mes Cartes Blanches, de lier le plus souvent possible avec
des master classes. C'est le cas à Verrières le
Buisson et bientôt à l'Automobile Club de France.
Cela passionne les gens et les fascine car c'est aussi un spectacle
que de voir travailler les jeunes et les voir au bout d'une
heure jouer la comédie autrement, en répondant
tout de suite à mes attentes.
Un de mes projets, dont je vous ai déjà
parlé, est de jouer avec la Compagnie "Les compagnons
de la Chimère" de Arnaud Denis, qui a eu une idée,
qui m'aurait peut être fait rire dans d'autres circonstances,
mais avec lui je suis prêt à tout et j'avais vraiment
envie d'être dirigé par lui.
Nous avons eu plusieurs projets ensemble qui
n'ont pas abouti : une pièce sur Goering entre autres.
Il a eu une idée qui me plait de plus en plus et à
laquelle je me prépare chaque jour : c'est de jouer le
rôle de Philaminte dans "Les femmes savantes".
C'est un rôle de femme mais cela se faisait beaucoup au
17ème siècle qu'un homme joue un rôle féminin
comme par exemple Madame Pernelle dans "Tartuffe".
Philaminte avait été créée par un
comédien pas très connu de la compagnie Molière
qui s'appelait Monsieur Hubert. Le spectacle va être créé
en festival cet été d'abord au Festival d'Anjou
puis à Paris, au Théâtre 14 chez Emmanuel
Dechartre. Il débutera la saison 2009-2010 en septembre-octobre.
Et puis un de mes autres projets, qui m'excite
beaucoup et il faut bien un an pour le mettre sur pied, c'est
le spectacle de fin de saison pour les élèves
de Vendée. C'est très difficile à organiser
mais j'ai choisi de tous les présenter, ils sont une
trentaine, uniquement à travers le répertoire
de Jean Anouilh. D'abord parce que c'est notre dernier très
grand vrai auteur en France. Ensuite parce qu'il y a tous les
rôles et tous les emplois dans son théâtre,
et uniquement de bonnes scènes que l'on peut extraire
de leur contexte tout en gardant leur efficacité. C'est
donc un énorme puzzle à mettre sur pieds et je
profite de nos trajets ferroviaires pour le mettre au point.
Le spectacle "Quand La Fontaine nous est conté"
Parlons un peu de la soirée La Fontaine
sous le titre "Quand la Fontaine nous est conté"
qui s'est déroulée le 21 janvier 2009 au Musée
Gustave Moreau et du choix des fables qui ont été
présentées au public.
Jean-Laurent Cochet : Mon spectacle La Fontaine
- je l'ai monté quand j'étais à Hébertot,
il y a près de 20 ans - durait une heure et demie. Les
fables s'enchaînent en se répondant, pas toujours
de manière aussi évidente et banale que l'exemple
que je vais vous donner. Ainsi sur une fable qui se termine
par "le loup l'emporte et puis le mange sans autre forme
de procès" (ndlr : "Le loup et l'agneau")
on enchaîne sur "les loups mangent gloutonnement"
(ndlr : "Le loup et la cigogne"). C'est une immense
fresque dialoguée qui permet d'avoir plusieurs emplois
et qui est également difficile à concevoir mais,
ce dont je me suis aperçu au gré du temps, c'est
que cela pouvait faire plusieurs spectacles différents.
Ainsi pour cette soirée, la durée du spectacle
ne devait pas excéder 45 minutes et donc j'ai fais un
tri en resserrant le spectacle et en prenant moins de comédiens.
Ce spectacle se tenait très bien. Marina Cristalle était
là aussi la femme unique. Nous étions 5 comédiens
autour d’elle : Axel Blind, Pierre Delavène, Olivier
Leymarie, William Beaudenon et moi.
Donc c'est un spectacle qui est toujours disponible.
Un peu comme quand le Musée de la Poste nous a demandé
des correspondances, Pierre avait eu l'idée de jouer
"La correspondance de Paul Roulier-Davenel" de Guitry,
texte que monsieur de Fallois - merveilleux éditeur -
a voulu rééditer après avoir vu le spectacle
que nous avons joué au Théâtre Tristan Bernard.
Le livre vient de sortir - j'y ai apporté un avant propos
- et c'est déjà un énorme succès
de librairie. Et même pour ceux qui ont vu le spectacle,
car nous n'avions pas tout mis dans le spectacle.
Ce sont des spectacles à tiroir toujours
disponibles si on nous les demande comme "La Reine morte"
et c'est le travail itinérant de la compagnie. Et nous
avons su que chaque année, il y avait un spectacle au
Musée Gustave Moreau, qui est un lieu magique, et nous
avons rencontré les directrices qui étaient folles
de bonheur à cette idée. Et c'est ainsi que nous
nous sommes retrouvés dans un lieu étonnant, peu
propice au départ à un spectacle, car il faut
faire le spectacle au pied du merveilleux escalier en colimaçon
très étroit qui mène au deuxième
atelier du peintre. Il fallait arriver par le haut et se tenir
sur les marches, ce qui n'est pas très aisé, et
c'est drôle ce n'est pas ce jour là que je suis
tombé ! Il y avait le génie de La Fontaine, le
talent des interprètes, l'insolite et la beauté
du lieu et, devant 100 personnes qui savaient pourquoi elles
étaient là, nous avons donné ce spectacle
qui a enthousiasmé le public qui nous a dit : "Trois
quarts d'heure de cette qualité on peut la chercher toute
l'année sur aucune scène parisienne". Cela
les rafraîchit et leur fait plaisir.
De plus c'est un spectacle mais qui se déroule dans
un lieu qui n'est pas un théâtre et qui rappelle
les soirées littéraires dans les salons proustiens.
Jean-Laurent Cochet : C'est exactement ça.
Quand Madame Sellières, qui est une amie à moi,
est venue nous voir, elle m'a dit qu'on se retrouvait à
la belle époque des salons dont les gens disaient que
c'était des snobs. Mais c'était Proust, Anna de
Noailles qui savaient pourquoi ils faisaient ensemble des choses
de qualité. Les gens adorent ça, et de plus, nous
sommes abordables en ne demandant que la quote part pour être
heureux ensemble. Cela m'enchante parce que c'est ainsi que
je peux prolonger une vie et une carrière. C'est un épilogue
qui durera ce qu'il durera et qui est jubilant. Et si entre-temps,
on peut monter un Guitry…
J'ai également ce projet de rejouer
le Guitry que j'avais créé, pour ainsi dire puisqu'il
n'avait jamais été repris depuis que Guitry l'avait
joué avec Fernandel. Il s'agit de "Tu m'as sauvé
la vie" que j'envisage de jouer avec Jean-Pierre Castaldi
. Et peut-être compte tenu du succès en librairie
de la correspondance on pourra reprendre notre spectacle "Correspondance
inattendue". Pour cela il y a un organisateur, c'est Dieu
; sur terre, c'est Pierre Delavène et son équipe.
Souhaitez-vous que Pierre Delavène prospecte d'autres
lieux pour réitérer ces spectacles hors les murs
d'un théâtre ?
Jean-Laurent Cochet : Oui et il n'arrête
pas de le faire d'autant qu'il est très sollicité.
Ainsi je vais faire ma carte blanche dans une grande loge de
la franc maçonnerie, ce qui me flatte et me fait plaisir.
Maintenant le travail se transforme en amitiés et en
relations. Je dois dire également que nous avons été
sollicités par le Théâtre de la Madeleine,
un théâtre dans lequel j'ai tant de souvenirs,
par Frédéric Franck qui avait envisagé
de monter un Guitry parce que ce théâtre avait
été un des théâtres de Guitry. C'est
un théâtre privé où il faut vraiment
un grand nom et ce projet avait également été
envisagé pour Fabrice Luchini. Et puis cela n'a pu se
concrétiser car Fabrice à des projets jusqu'en
2011 et, en définitive, je ne sais pas s'il a envie de
jouer ce répertoire maintenant qu'il est tellement bien
seul sur scène. Et les autres pièces qu'il aurait
éventuellement envie de jouer seraient sans doute d'une
autre ambition.
Nous n'avons pas trouvé non plus la
pièce adéquate car il n'est plus assez jeune pour
jouer "L'illusionniste" et pas assez vieux monsieur
pour jouer les rôles que jouait Lucien Guitry. Mais nous
avons frôlé un moment heureux. Parfois on les frôle
et puis ils entrent dans le parcours. Cela me rappelle quand
j'avais failli monter "La folle de Chaillot" sur laquelle
j'avais beaucoup travaillé et à laquelle j'ai
renoncé quand on m'a annoncé qu'untel devait la
jouer. N'en demeure pas moins que j'avais travaillé sur
le papier et que ce n'est qu'un projet qui n'a pas abouti. Mais
nous nous retrouverons avec Fabrice. Surtout que nous le souhaitons
tellement, si ce n'est qu'il ne faut pas attendre 120 ans.
Pensez-vous que le fait qu'il joue beaucoup en solo désormais
le détourne du théâtre?
Jean-Laurent
Cochet : Il y est tellement plus heureux; Il joue seul, sans
mauvais partenaire. Parce qu'on ne peut pas avoir une distribution
entière qui ne soit faite que de bons comédiens,
malheureusement. C'est un peu comme moi quand je fais mes lectures
à une voix. La distribution est homogène puisque
je joue tout seul ! Et puis il est tellement nombreux.
Ce n'est pas le monsieur qui fait un one man
show. Il va tellement loin dans son invention et dans son imagination.
Je l'entendais l'autre jour - il a un peu le même génie
que Laurent Gerra - il passe de Barthes à Molière,
de Céline à des histoires personnelles, ses tournages,
sa rencontre avec Barthes ou les classes où Vitez déforme
Molière. C'est irrésistible ! C'est un événement
un spectacle de Luchini, ce n'est pas qu'une performance.
Alors il ne peut pas être plus heureux
! Moi en ce moment je suis follement heureux de jouer une pièce
avec quatre comédiennes qui sont exactement celles que
j'avais voulu, qui sont des femmes humainement remarquables
et qui jouent leur rôle à la perfection (ndlr :
"Aux deux colombes" de Sacha Guitry en tournée).
On ne peut pas être plus heureux car c'est presque un
miracle.
Feydeau, Labiche et Courteline
Au cours de nos entretiens nous avons souvent parlé
des auteurs que vous aimiez et, lors de la dernière Master
Classe, vous avez établi un parallèle entre Feydeau,
Labiche et Courteline.
Jean-Laurent Cochet : Leur similitude réside
dans leur efficacité. Cela étant, tout de suite
un petit bémol comme on dit maintenant, même si
on ne sait plus ce que cela veut dire, c'est que l'efficacité
n'est pas la même. Et elle ne devient plus tout à
fait aussi réelle à cause de l'évolution
de l'éducation depuis un siècle, et pas seulement
de l'éducation parentale, mais aussi de l'éducation
nationale. C'est Pierre Gaxotte qui disait que l'éducation
nationale ce n'est plus rien : quand ça s'appelait l'instruction
publique ça a avait un sens ; l'éducation nationale
n'existe pas. C'est aujourd'hui très difficile d'être
efficace avec Courteline car on s'adresse à des gens
très cultivés, c'est-à-dire qu'il met en
scène des bidasses ou des couples qui vivent dans le
rance avec des housses marron chez eux. Tout ça est fait
d'aigreur alors que Courteline était un homme d'une générosité,
d'une bonté, d'une tendresse extraordinaires, et un observateur
par le petit bout de la lorgnette qui captait l'ennui chez les
petits bourgeois, chez les fonctionnaires.
Il a presque toujours évoqué
la demoiselle de la poste qui est toujours la demoiselle de
la poste; il y en a qui sont mieux que d'autres mais seulement,
ce qui est très difficile est que les situations au départ
nous font dire : "Ah on va s'amuser". Et puis comme
c'est très acariâtre, très sarcastique et
en plus, et c'est là dedans que résidait son comique
- l'éducation jouait son rôle, et j'ai encore connu
l'époque où on pouvait rire par intelligence -
c'est que c'était écrit comme du Bossuet. Là
où les autres peuvent écrire par interjections
(ndlr : suit une série d'onomatopées), comme il
y en a dans Feydeau, lui prête son humour à des
personnages qui n'ont pas toujours d'esprit et qui parlent comme
Bossuet. C'est donc très difficile à jouer et
il faut d'abord oublier justement que ce peut être comique
et il faut faire confiance aux gens car c'est presque musical.
Pour la différence, il faut rappeler
que Feydeau était à peine né quand Labiche
est mort et qu'on a appelé vaudeville les pièces
de Feydeau par déformation du vaudeville au sens du 19ème
siècle qui était une comédie à couplets
et qui n'était pas un genre, ni un style. Il y avait
un théâtre du vaudeville et on y jouait des pièces
depuis celles de Monsieur Duvert du début du 19ème
puis Lambert Thiboust. Dans la comédie-vaudeville le
texte est beaucoup plus important que les couplets qui viennent
de temps en temps la ponctuer. Ainsi dès que j'ai pu
monter des Labiche à la Comédie française,
il y avait de petits couplets et, ensuite, j'en ai ajouté
beaucoup pour en faire de vraies comédies musicales comme
"La station Champbaudet" ou "Doit-on le dire
?" et d'autres. Il y a le livret puis les musiques.
La particularité, contrairement à
certaines opérettes françaises dans lesquelles,
quand elles n'étaient plus de très bon goût,
on arrêtait la pièce et on chantait des petits
airs qui n'ont rien à voir, dans les pièces de
Labiche on enchaîne le dialogue en chantant comme dans
les comédies musicales américaines. Il n'y a donc
pas de rupture du dialogue. Labiche passe des mots aux notes
et c'est un style jouissif pour un comédien. Labiche,
toute la vie de Musset 1810-1857 tient à l'intérieur
de la vie de Labiche, est donc un auteur typiquement romantique
typiquement 19ème et il y a dans certaines de ses pièces
des scènes entre des jeunes premiers et des jeunes premières
qui sont tout à fait dignes de Musset et qui sont des
pièces de mélancolie, d'amour.
Entre Feydeau et Labiche il n'y a aucune conformité
d'écriture : c'est un style complètement différent.
Pour faire rire avec Labiche, il faut là aussi de l’esprit.
En France, il n'y a pas d'humour, le pays de l'humour à
froid, de l'humour pincé, c'est l'Angleterre. En France,
il y a en revanche ce que peut d'autres n'ont pas, c'est de
l'esprit. Il y a de l'esprit titi, celui des gavroches, jusqu'à
l'esprit paillard, et non vulgaire, et l'esprit français
et, à l'intérieur, l'esprit parisien. Cet esprit,
c'est celui de Labiche comme il y a l'humour de Sheridan ou
d'Oscar Wilde. L'esprit ça commence avec Beaumarchais,
et puis avec Labiche. Avec son style d'écriture romantique
il est le premier spirituel. Musset n'est pas spirituel : il
a du charme, de la délicatesse, il est souriant mais
le grand homme d'esprit c'est Labiche.
On
a beaucoup dit que le 18ème était le siècle
des Lumières mais, à part Marivaux et Beaumarchais
et quelques écrits de certains philosophes, c'est plutôt
le siècle de l'obscurantisme et ce sont eux qui ont amené
la révolution, les clubs, tous les sentiments bas et
revanchards. Le 18ème était un abîme après
le 17ème siècle, et les romantiques venant après
n'ont pas beaucoup remonté la pente. Donc leurs progrès
sont restés un peu à ras de terre.
Ensuite, il y a eu le moment sublime, peut-être
à cause des guerres, de la fin des années 70 jusqu'aux
années 30 et, uniquement en France, ce qui n'a existé
dans aucun autre pays. Il n'y a jamais eu autant de sublime
artistique dans tous les arts, dont 30 parmi les plus grands
écrivains de toute l'histoire de France dont Giraudoux,
Claudel, Cocteau, Gide, Valéry, pareil chez les peintres
avec les impressionnistes, ce qui a fait dire que le 19ème
siècle allait jusqu'en 1914.
Quand il écrit ces répliques
entre deux personnages dont un a dessiné un carré
: "Oh il est bien fait ce carré", déjà
moi je hurle. Le comble de la connerie bourgeoise. Et l'autre
répond "Oh j'ai pris une règle". Si
on n'a pas fréquenté, vu, comme ce fut mon cas,
les acteurs qui avaient joué ce théâtre-là,
on ne peut plus même sourire, on n'entend même plus.
C'est un rire poétique et, en même temps, il y
a le mouvement et la grâce. C'est toute l'époque
des grands ballets romantiques. Cela doit se jouer avec du doigté
et Yvonne Gaudeau a été une des dernières
à bien jouer Labiche.
Feydeau, c'est le ravageur, c'est la méchanceté
galopante, ce n'est même pas le sarcasme mais la destruction,
comme il se détruisait lui-même. Même mal
joué quand on voulait prouver qu'on ne ferait pas rire,
c'est irrésistible, à moins d'être malade,
parce que c'est un maelström où tout est mêlé,
le mélange des genres, des gens intelligents perdus dans
des courses et des sarabandes au milieu des cons. C'est Max
Sennett, tous les comiques américains et tout une partie
des anglais quand ils jouent des personnages caricaturaux. Toute
la construction est dans la folie, c'est le délire alors
que Labiche est le bon sens vu par le petit œil de cochonnet.
C'est exquisément bête parce qu'il
a de la tendresse pour ses personnages. Alors que Feydeau les
déteste et tous ses personnages sont fous, et surtout
les femmes, et il prenait exemple sur la sienne. Tout n'est
que différence mais pas seulement à cause du style
de l'écriture. Bossuet pour Courteline, Musset pour Labiche
et Buster Keaton pour Feydeau car on se demande même comment
il a pu lettre des mots sur ce comique de gestes et de poursuites.
Seulement, malgré tout, on peut obtenir, avec des comédiens
moyens qui n'ont pas tout à fait le style et la métrique
de Feydeau, que le texte nous parvienne.
J'ai eu la chance de connaître ceux qui
avaient joué Feydeau de son temps, et ils étaient
déjà âgés, mais c'était divin
et une femme comme Hélène Perdrière. Je
vais vous donner un exemple qui je pense éclairera certains
spectateurs sur ce qu'est ce métier au-delà de
tout ce qu'on en dit. Dans les pièces de Feydeau, en
marge de tous ses textes, il y avait toujours une portée
musicale qui donnait la ponctuation pour que les mots portent.
Et c'est "incontournable" - mot hérétique
- car il n'y pas d'autre moyen d'infléchir le mot.
C'est dans "Le fil à la patte"
où une femme arrive dans un salon pour y chanter, accompagnée
de sa sœur mal aimée, jalouse, venimeuse qui n'a
jamais rien réussi. On les reçoit toutes les deux
et la chanteuse entre dans une pièce préparée
à son attention où elle aperçoit un grand
dais et un fauteuil. Comme elle croit que c'est pour elle, elle
dit : "Oh un trône !". La personne qui la reçoit
la détrompe en lui disant que c'était le dais
de son lit et qu'elle y a mis un fauteuil. Et la sœur dit
en aparté : "C'est bien fait ce n'est pas un trône
!" Ca a fait hurler de rire quand Jacques Charon a monté
la pièce et, le soir de la générale, les
gens ont applaudi Denise Gence ; c'était le plus gros
effet de la pièce. A partir de la seconde, il n'y a plus
eu un rire parce que le soir de la générale il
y avait tout le gratin intellectuel et qu'ensuite même
un public intelligent et gentil n'a pas le temps d'entendre.
Ce n'est plus suffisamment drôle et cependant, ce sont
des effets à la Feydeau. Ses textes sont écrits
presque avec des points de suspension. Il y a donc des gens
qui peuvent jouer joliment Labiche mais pas Feydeau.
Les moyens de Labiche sont plus légers.
Qui joue bien Feydeau doit pouvoir jouer Labiche mais pas forcément
l'inverse. Il faut de la violence, de la véhémence
pour Feydeau qui est plus massacrant. Dans un dialogue entre
deux amies qui est simplement : "Mon premier amant a été
un danois" et la réponse "Un chien ?",
une personne moyenne dit un chien à la forme interrogative
mais Hélène Perdrière aurait dit un chien
avec un sous-entendu de curiosité intéressée
qui en disait long. Donc deux notes différentes dans
la partition et, tout d'un coup, tout le caractère de
la femme est dessiné uniquement parce qu'elle a pensé
à l'inflexion. Voilà la technique sensible qui
fait l'interprétation : la note, l'inflexion, l'interprétation.
Voilà pour nos trois vaudevillistes.
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