Monologue dramatique écrit et mis en scène par Jean-François Mariotti
et interprété par Clémentine Marmey.
Dans "Sade 2.0" Jean-François Mariotti adapte librement les dernières pages des "120 Journées de Sodome" du marquis de Sade. Il mêle dans son récit les grands noms du XXème siècle à la prose abrupte de l’auteur, créant ainsi un parallèle étonnant dont le fil conducteur logique est la cruauté.
Cette analogie permet de revisiter sans vergogne une époque particulièrement meurtrière marquée par bon nombre d’horreurs, des deux grandes guerres au siège de Sarajevo, en passant par la fin des grands empires germanique et russe, sans oublier les nombreux régimes totalitaires en place à cette période. Elle permet également de la désacraliser.
Cette réécriture du passé, qui utilise l’imaginaire collectif et explore les images inconscientes que chacun porte de l’Histoire, s’entend comme une thérapie de choc permettant au spectateur de se libérer du poids de l’héritage tout en pastichant le fameux "devoir de mémoire".
Bien loin d’une forme de repentance consensuelle, nous assistons à un exposé cynique des affres du monde. Les monstres sacrés, victimes ou bourreaux, ne sont alors plus que des êtres humains, présentés sous leur angle le plus vil, livrés à leurs pulsions les plus animales. Ils n’en paraissent étrangement que plus grotesques, bien que follement dangereux.
Si la forme est déroutante, Sade s’étant livré dans "Les 120 Journées de Sodome" à une énumération brute, sans narration, de différentes cruautés et obscénités, le fond d’un prime abord choquant, glisse très vite dans un certain burlesque.
Le mécanisme répétitif des situations, du vocabulaire, et l’interprétation étonnante de Clémentine Marmey y contribue grandement. La comédienne porte avec beaucoup de prestance et d’aplomb ce rôle délicat, dans la salle très intime du sous-sol des Déchargeurs qui la met en face à face avec un public difficilement indifférent devant un tel spectacle.
Le rendu visuel est particulièrement réussi grâce à une projection d’images, purement graphiques ou d’intérêt historique, qui créent une atmosphère particulière à chaque opus de la pièce, découpée tel un manuel scolaire en chapitres chronologiques correspondant à une tranche de siècle. Ces images dessinent le corps de Clémentine Marmey et modifient les expressions de son visage, mis en valeur de manière très graphique.
Il se dégage au final de ce spectacle une aura mi-sulfureuse, mi-désenchantée, troublante. On oscille sans cesse entre le porno-chic, un peu trash, de façade, la provocation évidente voire facile et le symbolisme historique pertinent, sur un ton à la fois cruel et facétieux. Si certains spectateurs sortiront (comme le soir où nous y étions) avant la fin de la représentation, gênés, d’autres goûteront le cynisme du propos et la modernité d’un marquis de Sade qui n’en finit plus d’alimenter notre siècle. |