Mais pourquoi les Français sont-ils donc si déprimés ? Dans son essai Le pays où la vie est plus dure, Philippe Manière dresse un portrait très factuel, sans concessions, de l'hexagone et de ses travers. Le point de départ de sa réflexion est un paradoxe : les Français ont théoriquement tout pour mener une vie douce et heureuse : un art de vivre que le monde entier leur envie, un excellent système de santé, moult vacances, des grandes entreprises de dimension internationale… et pourtant l'ambiance est à la sinistrose, la jeunesse n'a aucune foi en la clémence de son avenir, et la frilosité est de mise. La crise semble miner les esprits plus profondément qu'ailleurs.
Statistiques à l'appui, l'auteur, éditorialiste à l'Express et ancien directeur de l'Institut Montaigne de 2004 à 2008, s'attelle à l'analyse point par point des causes de ce ressenti, qui n'est pas simplement imputable à la mauvaise humeur légendaire des Français, mais à des problèmes structurels, des raideurs historiques qui empêchent notamment le pays de vivre la mondialisation avec sérénité.
Au pays supposé de "l'égalité des chances", la mobilité sociale s'avère de plus en plus faible. "Nous préférons collectivement la stabilité au mouvement, en économie comme en politique" – réticence au changement qui se décline sous de nombreux aspects, du monde de l'entreprise à un personnel politique beaucoup plus âgé que chez nos voisins, ou à une "école de la République" que son extrême rigidité empêche de tenir ses promesses originelles.
Si le démarrage du livre ressemble un peu trop à une accumulation de chiffres, s'y plonger devient de plus en plus stimulant au fur et à mesure que se dessinent des pistes qui sont autant d'invitations à la réflexion sur la façon, partant du constat dressé, de sortir le pays de la panade. Face à la stagnation économique et à l'apartheid social, il propose non pas de plaquer les recettes importées d'un succès (scandinave par exemple) mais de chercher une nouvelle solution originale "à la française" : "notre pays pourrait se vouloir le pays d'une mondialisation associative ou intégratrice", laissant sa chance au mérite plus qu'à la reproduction d'élites jalouses de leurs privilèges. Pas de référence partisane, peu d'idéologie, mais quelques idées concrètes qui peuvent donner du grain à moudre à ceux qui refusent de laisser la déprime et l'immobilisme avoir le dernier mot. Une fraîche lecture de campagne, autant dire. |